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« Francophonie au féminin »
 

Théâtre International de Langue Française
(5 octobre – 30 novembre 1999)

Le TILF se consacre à la découverte de textes francophones,
à la rencontre de notre culture avec d'autres cultures.
Son action est essentiellement contemporaine : la langue française est souvent jeune hors de nos frontières. Cette polyphonie d'écritures et de paroles trouve sa réponse dans un public jeune et multiculturel, majoritairement féminin, venu de l'ensemble de la région parisienne.
« Francophonie au féminin », initiative de Gabriel Garran, a trois caractéristiques : l'écriture féminine, le théâtre, la rencontre de notre langue avec d'autres origines culturelles.

Où débute l'écriture ? Où se parachève une langue ?

Le glissement de la parole vers l'écrit, de la pensée vers le papier, de l'intime ou de la fresque vers le livre, vers la représentation, est une aptitude féconde, magique de l'esprit humain.

Le truchement essentiel en est la langue dont on dit justement qu'elle est maternelle. Cette féminisation a sans doute un sens profond. La première voix intra et extra utérine est féminine. Absorbée avec le premier lait de l'après naissance, elle en est l'accompagnement affectif, le prélude relationnel au monde.

Relier la francophonie à la féminité a été un acte intuitif, une sorte d'évidence dont je ne sais si elle est pionnière. Est-il si fortuit que ce soit souvent des femmes qui aient été portées aux plus hautes responsabilités de la Francophonie ?

Qu'il ait fallu attendre des siècles et deux guerres mondiales pour le droit aussi d'élire les représentants de la cité et que les femmes ne soient plus des personnes séparées ne solutionne pas entièrement la problématique de la citoyenneté féminine. La lente progression des droits économiques, sociaux, moraux se retrouve également dans nombre de décalages culturels.

En ouvrant notre septième saison au Parc de la Villette avec « Francophonie au féminin », le projet n'était en rien guidé par une volonté de manifeste ou d'une application théorique d'une écriture qui serait spécifique aux femmes.

Si spécificité il y a, elle est propre à celui ou à celle qui écrit, à sa poétique personnelle, à sa perception du monde, des êtres, à sa particularité stylistique. Quel fil conducteur entre les sœurs Brontë, la Russe Berberova, l'Américaine Mary Higgins Clarke, la Flamande Marguerite Yourcenar ou notre Nathalie Sarraute ? C'est l'unicité de chacune qui est prédominante, et vouloir les relier, les uniformiser à tout prix par leur appartenance au sexe féminin serait réducteur, sinon caricatural.

La moitié des francophones étant d'ores et déjà de ce sexe, il n'y a guère lieu – je le dis avec humeur et amour – ni évidemment de s'en plaindre, ni de creuser je ne sais quelle rigole contre l'autre moitié quant à un usage différencié du même verbe .

Étant entendu également que cette irréductibilité à soi n'ôte en rien la part incluse de ce qui est dû à sa condition féminine, à son environnement historique, aux racines de sa communauté, à son intime enfoui.

L'émergence grandissante des femmes auteurs dramatiques est une donnée contemporaine.

Il y a trois ou quatre ans que je suis habité par le désir d'une programmation féminine. C'est quelque chose lié à des rencontres théâtrales, à l'écoute profonde de personnages et d'interprtes féminins, à tout un faisceau d'ouvrages littéraires, à huit mises en scène de textes écrits par des femmes.

J'ai pratiquement terminé mon aventure artistique au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers avec À cinquante ans, elle découvrait la mer de Denise Chalem, relation mère - fille abordant l'émigration judéo-égyptienne. En fondant ensuite le Théâtre International de Langue Française, le premier événement marquant en a été l'Homme gris de Marie Laberge, dont j'allais reprendre plusieurs années plus tard Le Faucon. Et j'ai inauguré notre implantation au Parc de la Villette avec Les Filles du 5, 11, 15 cents d'Abla Fharoud et son portrait de deux jeunes soeurs du pays des oranges libanaises. De même , mon dernier spectacle a été consacré à Marguerite Duras et au Barrage contre le Pacifique dont j'avais créé également Aurélia Steiner au Petit Odéon.

C'est toute une constante attentive, sensitive qui fait que mon parcours rencontre aujourd'hui Nancy Huston, Agota Kristof, Yasmina Réza et offre le plateau du TILF à Anita Van Belle, à Charlotte Rafenomanjato, Lolita Monga, Amélie Nothomb, Hoda Adib, Andrée Chédid, Maïssa Bey, Véronique Olmi, Marie NDiaye.

En fait cette idée d'une polyphonie d'écritures féminines francophones trouve sa source dans mon initiative de 1995 : « Algérie au féminin ». J'avais été frappé par les voix vibrantes, protestataires, liées aux épisodes de la barbarie qui endeuillait notre voisine d'outre-Méditerranée. Cet entrelacs de voix mêlant Latifa Ben Mansour à Malika Mokkedem, Leïla Sebbar à d'autres voix talentueuses algériennes choisissant comme nécessité libre, de s'exprimer en notre langue, m'a donné l'idée d'une autre convergence.

Fabriquant du vivant, c'est un puzzle de onze auteurs qui a été proposé au public, constitué autour de 23 manifestations impliquant au total 70 artistes. Il a surtout servi de mise à jour de nouveaux textes – dont dix inédits.

L'origine des auteurs (ou auteures) se situe en Algérie, Belgique, Canada, Égypte, France, Hongrie, La Réunion, Liban, Madagascar, Sénégal, Suisse. Participe également une troupe béninoise, des intervenants malgaches, américains, des DOM-TOM, colorant d'international ce festival autour de notre langue.

Le côtoiement de toutes ces œuvres ne peut aboutir en aucun cas à un noyau dur commun à toutes . Ce serait absurde. Mais on peut y détecter quelques tendances : point de vue de femme ou simplement façon de raconter des contradictions morales, humaines, d'êtres aux prises avec des conflits majeurs de la nature ou de la société ? Retour au théâtre d'idée ?

L'insubordination, la rébellion, la non-acceptation rôdent dans les textes. L'implication personnelle y est forte, la dramaturgie souvent concrète. De l'une à l'autre on y perçoit une constante, celle du personnage dérangeant, d'univers instables. Le goût aussi de situations limites.

Et d'un séisme aux tragédies de l'histoire, de l'univers carcéral au froid de la barbarie, d'un amour mutilé à la difficulté de naissance d'une prématurée, comme un souffle permanent, la pulsion de la voix humaine redonne vie…

Gabriel Garran, directeur du Théâtre International de Langue Française
30 novembre 1999
Extrait de son article écrit pour Les Cahiers de la Francophonie, janvier 2000