SACD - Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques
Entr'Actes
accueil
la moisson des auteurs
à l'étranger
la moisson des traductions
paroles d'auteurs
à l'affiche
au catalogue des éditeurs
archives actes du théâtre
 
 
Actes du théâtre :
la lettre d'information
 
Plan du site
   
   


 


Pour un mench
 

Une voiture de location sort de la ville de Québec et file vers le Grand Nord.
Nous sommes en 1978. Au volant, Jean-Pierre Miquel, à ses côtés Robert Rimbaud, à l'arrière mon épouse et moi, à la radio Félix Leclerc…
On longe le Saint-Laurent. Nous sommes seuls au monde. On s'enfonce pour deux, trois heures dans des terres vierges : une escapade, une récréation, un sentiment de liberté partagé et cette voix qui nous étreint " C'était un p'tit bonheur ". Cette voix grave, chaleureuse et fraternelle, la voix de Félix Leclerc qui aujourd'hui s'impose à moi comme une sorte de voix chantée de Jean-Pierre, bienveillante, ample, droite et ferme.
Que faisions-nous au Québec ?
Jean-Pierre Miquel y avait organisé une série de lectures d'auteurs contemporains qu'on nommait à l'époque " jeunes auteurs " quel que soit leur âge. J'avais écrit Les Vacances pour être du voyage… Jean-Pierre, que j'avais croisé dans les années 1960 sur un plateau de télé où nous faisions tout deux des pannes, fut depuis présent de près ou de loin tout au long de mes travaux d'écriture.
Lecteur éclectique, il ne cherchait pas le nouveau Beckett ou l'ouvrage opportun pour illustrer ses théories esthétiques ou idéologiques. Non, il aimait découvrir, servir et faire connaître des voix singulières, celles de Kalisky, de Calaferte, de Billetdoux, de Sternberg et de tant d'autres. Il n'était pas nécessaire d'appartenir à une école ou à une chapelle, il suffisait d'écrire.
Du concours des jeunes compagnies à la direction de la Maison de la culture d'Amiens, puis aux côtés de Pierre Dux déjà au Français, à l'Odéon, au Petit-Odéon, à Reims enfin, puis de nouveau au Français, toujours il manifesta cet intérêt pour l'écriture d'aujourd'hui. Ce fut lui qui en 1968 créa Rixe à Amiens et Les Vacances en 1981 à Reims.
Cependant ce n'est pas le metteur en scène que je veux saluer, ni le pédagogue, ni l'acteur, ni le directeur, non, comme tous ceux qui l'ont connu, c'est à l'homme que j'adresse ces quelques mots d'adieu. En yiddish, on dit un mench, c'est un peu plus qu'un homme, on peut traduire par " homme droit sur qui on peut compter, loyal, responsable ", qualificatifs qu'on a rarement aujourd'hui l'occasion d'employer. Jean-Pierre Miquel était un mench et c'est ce mench qui nous manque et nous manquera.

Jean-Claude Grumberg