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Edito : Une vocation

 
     
 

Si je devais inscrire mon métier sur une carte d'identité, je marquerais comédienne parce que c'est à ce moment-là que je suis née.
La vocation de comédienne m'est venue dans l'enfance et a germé au cours des années. J'étais éblouie. Je devinais que quelque chose d'important m'était arrivé sans que cela m'inquiète. C'était un accident naturel.
Jamais je n'avais entendu le mot "théâtre" avant mes huit-neuf ans. Je vivais dans le bled. Pour ma première communion, on m'a emmenée à une fête. On jouait La Traviata. Je me souviens très bien de la femme qui chantait et lorsque je l'ai vue tendre les mains vers le feu pour se réchauffer, j'ai pensé : je veux mourir comme cette femme, les mains tendues vers le feu. J'aurais dû me dire : je veux chanter la mort. Mais non; j'ai bien séparé les deux choses. C'est ça la vocation. Quand quelque chose se plante en vous sans qu'on en comprenne la logique. Pour moi, ça a été le miracle du théâtre. Cela s'est inscrit dans mon être, sans étonnement, sans questions. Comme un violoniste ou un marin.
Mais une vocation n'est rien si on ne la cultive pas. Il faut la travailler au corps, trouver son point d'ancrage. C'est dans les moments de doute qu'on en vérifie l'enracinement. Si on se dit : je veux faire ce métier, cet art, c'est qu'on pense en être capable. Sinon pourquoi s'aventurer dans les chimères et les défaites?
La vocation c'est aussi refuser les maléfices. Au début on a voulu me persuader que ce n'était pas un métier parce qu'il n'y avait pas de retraite. Mais ça ne m'a pas touchée, ce n'était pas ce que j'avais à entendre. Mon obstination tenait à un ordre inconnu, un appel.
La vocation doit être incarnée, sinon c'est un rêve de vocation. Elle existe le jour où elle est mise en pratique. On sait que l'on a eu raison, que c'est là qu'on sera le mieux au monde.
Quand la vocation s'installe en vous, elle vous donne votre identité. Je suis sûre que ceux qui doivent abandonner ce métier ne sont plus les mêmes. Ils vivent une amputation dans leur être. On se coupe de sa vocation comme on se coupe d'une partie de soi-même.
J'ai vécu un luxe rare d'interpréter des chefs-d'œuvre pendant vingt ans. Plus j'aimais ce métier et ses rencontres inattendues avec un auteur, moins je me rapprochais du métier d'auteur moi-même. La beauté des textes faisait barrière.
Et puis j'ai été amenée à faire des exercices peu compromettants : émissions de radio, nouvelles, fictions. Tous dialogués. C'était sans doute un signe avant-coureur. J'ai senti qu'il y avait une route à suivre, sans en connaître la destination précise.
Je ne sais pas parler du théâtre "écrit". Mes pièces ne sont pas dans les livres; il n'y a que des choses couchées, horizontales, qui demandent à être debout.
Quand ma première pièce a été écrite et qu'elle a été jouée, je me suis dit que cela n'irait pas plus loin. Je n'avais pas la vocation d'écrire, je n'en ressentais pas l'appel. Ça a été un acte volontariste de ma part. Comme traverser un désert avec un peu d'eau. J'en voyais toutes les difficultés : le passage d'un domaine connu à un autre, inconnu. Et puis, qui se met à écrire à cinquante ans? Je ne peux pas expliquer réellement comment je suis passée à l'écriture. En y réfléchissant ça s'est fait quand je n'ai plus été happée par le tourbillon des spectacles, des tournées. Quand j'ai posé mon baluchon.
Qu'est-ce que l'écriture peut faire passer que le métier de comédien ne peut faire passer? Le comédien se soumet à un verbe qu'il ne doit pas trahir. Il est au service de l'écriture. Le comédien qui écrit sait l'importance de la voix, j'écris mes pièces avec cette musique-là. Et quand j'aborde un texte en écriture j'entends les répliques avant. Aucun comédien n'a jamais buté sur un mot ou sur une scène.
Écrire, c'est certainement la meilleure façon que j'ai trouvée pour ne pas mourir - ou du moins ne pas disparaître. J'ai été une fois dans un bistrot qui se nommait L'Éphémère, un mot que je déteste. Vivre l'espace d'un instant, je ressens cela comme une grande blessure. Le comédien vit jusqu'à ce que celui qui l'a vu jouer meure. En revanche l'écrit reste. J'ai été très flattée d'apprendre que j'étais à la Bibliothèque nationale.
Avec l'écriture je me suis posée la question de ma valeur. C'était encore lié à ma vie de comédienne. Quelle présomption d'écrire lorsque je me comparais aux auteurs que j'avais tant aimés interpréter! Un jour, j'ai trouvé une dérobade qui est devenue ma formule magique : si on ne peut pas jouer la Neuvième Symphonie de Beethoven avec une petite flûte, on a besoin d'une petite flûte pour jouer la Neuvième Symphonie de Beethoven. Le peu que j'apporte, je l'apporte au monde.

 
     
  Denise Bonal
29 avril 2004

 
     
 
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