Ce sera un souvenir. D'un mardi soir, à l'heure
de la vaisselle, quand l'on tourne machinalement la
mollette du poste pour couvrir le bruit de l'eau qui
coule sur les assiettes d'après-repas. Au hasard
de la bande FM ou presque. Nous savions qu'une "
Perspective contemporaine " se jouait à
la radio, sur France Culture. L'auteur venait de présenter
son travail. Il était temps de passer à
la fiction. Notre écoute fut au départ
distraite, hésitant entre le crissement du
torchon sur la faïence et les premières
bribes d'une histoire dialoguée. De passage
à Paris, une Japonaise retrouvait le fils d'un
Français qu'elle avait connu et aimé
dans un Japon de l'immédiat après-guerre,
au temps de la mise en place du proconsulat américain.
Anamnèse, découverte d'un passé
paternel par un fils qui n'en avait jamais entendu
parler, mémoire, histoire. Nous conservons
de cette heure passée entre l'évier
et le canapé un souvenir aigu. Celui d'une
translation d'une pièce à l'autre au
gré d'une attention de plus en plus soutenue.
Il était pourtant évident que nous éteindrions
le poste pour vaquer à nos occupations. Il
n'en fut rien.
La parenthèse radiophonique se prolongea. Pour
le plaisir de la narration. Pour la persuasion d'une
histoire, son appel à s'y couler, à
s'y mouvoir. La scène d'un théâtre
organise la frontalité. Elle capte le regard,
ordonne l'entendement, lie un texte, un corps, une
voix, un décor. La fiction à la radio
surgit d'un nulle part, attire l'attention, imprègne
un moment, entre latence et concentration. Elle peut
avoir le don de figer. Nous nous sommes donc arrêtés
pour écouter. Texte de facture classique, mise
en ondes rythmée par deux voix et un téléphone
qui sonna pour relier. Rien de bien original. Peut-être.
Pour autant, nous n'avons jamais songé à
rompre ce qui devint, au fur et à mesure, l'enchantement
d'un plaisir oublié : celui de l'histoire racontée.
Simplement racontée. Sans artifice, sans artefact
(de stimulation, forcément). Entraîné
par un dialogue et par l'envie d'en deviner la fin,
de le précéder, de se l'entendre dire.
Nous nous sommes assis puis allongés au gré
de la fluctuation du verbe et de sa réverbération
sur notre envie d'écouter. L'espace domestique
devint le Japon d'un instant, suggéré,
imaginé, métamorphosé. Un décor
d'un théâtre personnel et définitivement
- puisque nous en avons conservé le souvenir
- incorporé.
Laurent Le Gall
président de l'association Longueur d'ondes
longueur.ondes@free.fr
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