SACD - Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques
Entr'Actes
accueil
la moisson des auteurs
à l'étranger
la moisson des traductions
paroles d'auteurs
à l'affiche
au catalogue des éditeurs
archives actes du théâtre
 
 
Actes du théâtre :
la lettre d'information
 
Plan du site
   
 

actes du théâtre

 


 


Lucien Attoun, trente-six ans à micro ouvert


Tu représentes un terreau fertile de l'écriture contemporaine. Vous savez établir, Micheline et toi, un contact de qualité avec les auteurs, tels de vrais artisans et cela me touche. J'adore t'écouter parler du théâtre parce que tu transmets la vie et la richesse de tes expériences comme un conteur. Comment as-tu commencé ton long mariage de trente-six ans avec la radio ?
Tu as employé deux mots qui me touchent vraiment parce qu'ils correspondent exactement à ce à quoi nous sommes attachés Micheline et moi.
Le mot " artisan ". Cette idée d'artisanat est une chose à laquelle je tiens beaucoup. Si j'ai commencé à m'occuper des auteurs, c'est parce que, un jour, quand j'étais critique de théâtre, Jean-Claude Grumberg m'a déclaré : " Y'en a marre, faut que tu t'occupes de nous ! ". Et pourquoi a-t-il dit cela ? Parce que depuis des années, lui et quelques autres, nous donnaient leurs manuscrits à lire. On les lisait, on se rencontrait, on se disait ce qu'on en pensait mais on n'avait aucun autre moyen d'action que l'amitié.
Par la suite, on m'a demandé de m'occuper des jeunes auteurs pour la collection " Théâtre Ouvert " aux éditions Stock, en 1970. Dans cette collection je publiais des pièces inédites, jamais jouées et qui n'avaient aucun projet. Le pari était qu'un jour, tôt ou tard, toutes ces pièces seraient montées.
À cette époque les contrats nous avaient paru léonins. Alors, avec Micheline, nous avons piqué tous les contrats existants jusqu'à constituer de façon artisanale le premier contrat réel de représentations en France, contrat qui allait être ensuite repris par la SACD, le SYNDEAC, etc.
L'autre mot, c'est " conteur ". Depuis mon enfance, j'ai toujours été fasciné par les conteurs, sur les places, en Afrique du Nord. Je crois que le théâtre, et la radio encore plus, c'est raconter des histoires. Je suis de la génération de ceux qui ont été formés par la radio. Enfant, je croyais que les gens qui jouaient étaient derrière la radio.

Tu as commencé par le théâtre amateur, n'est-ce pas ?
Oui. Ensuite j'ai fait du théâtre universitaire, j'ai été au groupe du Théâtre antique de la Sorbonne. Le secrétaire général de l'époque s'appelait Jean-Pierre Miquel ; il y avait Ariane Mnouchkine qui avait créé l'ATEP, Association théâtrale des étudiants de Paris. Nous étions toute une bande, nous étions dans une mouvance. Et puis, je suis passé au théâtre professionnel, mais très vite j'ai été un peu écœuré du milieu. Par la suite, ma chance a été d'avoir toujours rencontré des femmes qui ont cru en moi. Micheline, c'est encore plus.

Comment as-tu fait tes débuts à la radio ?
Un jour Claire Jordan m'a téléphoné. Elle m'a dit : " Et si vous veniez parler du jeune théâtre un quart d'heure dans mon émission : "La matinée des spectacles" sur France Culture ? " Elle avait lu une critique de moi dans la revue Tréteaux 67. J'ai commencé une fois pour un quart d'heure. Et elle m'a renouvelé de quart d'heure en quart d'heure, ce qui fait que, depuis septembre 1967, pas une semaine, et parfois plusieurs fois par semaine (durant une période également sur France Inter) je n'ai cessé - sauf en mai 68 - de parler au micro jusqu'en juillet 2003, date à laquelle j'ai dû quitter la radio après un incident avec la directrice.
En vérité, si septembre 1967 marque mes débuts sans discontinuité durant trente-six ans sur France Culture, j'avais commencé à participer à des émissions radiophoniques dès 1958 !
Au Centre d'études de radiotélévision, j'ai connu une comédienne polonaise, Alicia Ursyn-Szantir, qui travaillait également pour la radio polonaise. Elle m'a fait faire des émissions plutôt folles (par exemple, un reportage en direct et en polonais depuis le studio pour présenter un concert d'Édith Piaf à l'Olympia !).
Claire Jordan, qui travaillait pour ce qui allait devenir France Culture, en a fait de même avec moi, puis elle m'a demandé des interventions plus " sérieuses " et ponctuelles ; c'est ainsi, par exemple, que j'ai été l'un des premiers à couvrir, dès 1965, le Festival mondial du théâtre de Nancy (alors encore universitaire) créé par Jack Lang !

As-tu tout de suite accroché avec la radio ?
J'ai tout de suite eu une passion pour la radio. Quand je parle au micro, j'ai l'impression de parler pour quelqu'un, pour une seule personne qui me suit depuis des années, et qui me dit : " Attention, tu as déjà dit ça la semaine dernière, ou il y a 3 ans ".
Ma chance a été, à l'époque, d'avoir pu faire venir à la radio pour leur première interview, des gens comme Chéreau, Mnouchkine… Toute la génération qui allait naître a eu sa première interview dans mes émissions ou dans celles auxquelles je collaborais.
Pierre Sipriot, directeur de France Culture, m'a demandé de le dépanner pour La journée Giraudoux, à l'occasion du vingtième anniversaire de sa mort. Cela a été ma première grosse production. C'était une émission qui commençait à 14 heures et qui se terminait à minuit ! Les invités étaient éclectiques. Ça m'a éclairé sur le fait que j'avais raison de rester moi-même.

C'est vrai que tes émissions se déroulent toujours de façon très décontractée et que la spontanéité est une autre de tes qualités.
J'ai toujours choisi mes invités parce que j'avais une première question à leur poser, sinon je ne les rencontrais pas. J'estime que dans notre boulot, la qualité essentielle est de savoir écouter. Assez vite, je crois avoir trouvé la bonne distance. Par exemple, je suis resté dix ans sans interviewer Barrault. Et un jour, j'ai eu l'impression que c'était le moment. Deux heures d'interview, lui et moi. Je m'en souviens encore. À un moment il s'arrête. Je lui dis : - " Si ma question vous dérange, je passe à une autre. " - " Pas du tout, pas du tout, elle m'oblige à réfléchir ". J'ai trouvé ça magnifique.

Mais tu n'as pas fait que des entretiens à la radio, tu as réalisé des émissions très variées.
Absolument. Un jour Pierre Sipriot me téléphone : " On a un problème, on ne peut plus continuer à programmer les mêmes auteurs qu'avant. Pouvez-vous nous aider ? " J'ai monté un programme de trois mois avec uniquement des pièces inédites de nouveaux auteurs et d'autres un peu moins nouveaux, un format de 2 heures ou 2 h 30 chaque semaine. On a appelé ça : " Le Nouveau Répertoire Dramatique de France Culture ". C'était en mars 1969. Il y avait Liliane Atlan, Georges Michel, Philippe Adrien, Arrabal, François Billetdoux, Louis Calaferte, Andrée Chédid, Roland Dubillard, Jean-Claude Grumberg, Victor Haïm, Elfriede Jelinek, Armand Gatti, notamment.
Et puis une autre fois on m'a dit : " C'est La journée mondiale du théâtre, pouvez-vous la faire de 9 heures du matin à minuit ? ". J'ai décidé de passer des commandes, de faire des choses en direct et en public et j'ai vécu des aventures formidables. J'ai pris un studio à la radio et nous avons présenté des pièces de Philippe Adrien, Serge Behar et René Depestre, le poète haïtien. La veille, Jean-Marie Serreau me dit : " J'ai dîné hier avec Jean-Michel Folon et il m'a fait cadeau de cinq cents diapositives ". Et il me lance : " On va s'en servir ! " Je lui dis : " Comment, à la radio ? " Il me répond : " On trouvera toujours quelque chose ". Le lendemain, en se promenant, on croise quelqu'un qui avait un seau, un paquet de lessive et une éponge. Il lui dit : " Vous êtes libre demain à 14 heures ? Venez au studio ! ", l'autre interloqué : " Pour quoi faire ? ", il lui répond : " Vous aller raconter en direct aux auditeurs ce que vous voyez ". Et ce monsieur, avec " son matériel de bruitage ", s'est mis à improviser sur les diapositives de polo que bien sûr personne à la radio, sauf ceux qui étaient dans le studio, ne voyait. Tout à coup on a vu affluer des personnes qui avaient quitté leur bureau parce qu'on leur avait dit qu'il se passait des choses extraordinaires. Ils descendaient, observaient mais préféraient remonter écouter l'émission à la radio.
Le soir, je suis allé chez Gabriel Garran, qui est tellement généreux, et je lui ai donné Jean de Uccio Esposito-Torregiani, un texte à lire par une jeune comédienne Marie-Christine Barrault, un jeune comédien Pierre Santini et des comédiens expérimentés : Georges Adet et Andrée Tainsy. On a fait tout un travail en direct et en public. Le nouveau directeur de France Culture, Arnaud Tenèze, était à l'écoute et il m'a demandé si je ne pourrais pas faire ça plus souvent. Ça a été l'amorce des mises en espace. Je ne savais pas que le concept allait être repris dans le monde entier. Si ça devait être déposé à la Société des auteurs, je toucherais des droits d'auteur formidables ! Nous sommes allés au Japon en 2003 pour fêter les 30 ans de Théâtre Ouvert. Là-bas ça se dit " mise en espace " ! Et quand Vilar m'a invité en 1970 par provocation, je lui avais proposé ce qui allait devenir Théâtre Ouvert à Avignon.
Ce qui est bien, c'est que j'ai pu gagner le pari que j'avais fait chez Stock avec la collection et toutes les pièces inédites ont été montées après leur publication.

Avec " Le Nouveau Répertoire Dramatique ", tu diffusais une pièce, puis suivait une discussion avec l'auteur ?
Plutôt, elle précédait. L'idée était que ce soit la première fois qu'on l'entende, et - très important - de dire non pas : vous faites du théâtre pour la radio, mais vous faites du théâtre qui passe à la radio et on prend le pari que ça peut devenir du théâtre sur un plateau. J'ai toujours été contre le mot " fiction ", ça ne veut rien dire pour moi, parce que tout est fiction. Par exemple, je suis venu au Festival d'Avignon avec France Culture et j'ai demandé aux auteurs d'écrire pour la radio un drame mais qui pouvait devenir un " plateau ". J'ai baptisé ça des radiodrames. Pour citer une réussite récente : Anne-Marie, une commande de 30 minutes à Minyana pour la radio. J'ai dit à Philippe : " Pourquoi on ne la jouerait pas au théâtre ? ". Micheline lui a demandé de la mettre lui-même en scène, et voilà. Donc, il faut appeler théâtre théâtre, et fiction fiction. Quant aux formats, je suis pour différents formats. Je dis qu'il n'y a pas de petites choses, il y a des petites formes et des grandes formes, qui n'appellent pas le même traitement.

Que se passait-il à la radio pour les auteurs de théâtre avant qu'on te demande " un quart d'heure contemporain " ?
Certains auteurs sont nés à la radio comme Dubillard. Brecht a fait des pièces à la radio, Beckett et Adamov ont écrit pour la radio parce que personne ne voulait de leurs pièces, mais elles restaient des pièces de radio.

Qu'est ce que tu appelles une pièce de radio ?
Une pièce de radio n'appelle pas le corps, c'est uniquement la langue qui est entendue. Avec la radio tu n'as pas les contraintes du décor, tu fais appel à l'imaginaire. Avec l'imaginaire tu peux inventer les spectacles futurs, tu as cette liberté. J'ai demandé un jour à Yannis Kokkos comment il était venu au théâtre et il m'a répondu qu'il écoutait en cachette dans sa chambre le théâtre à la radio, que c'est ça qui lui avait donné l'envie du théâtre. Quand il est venu en France, il s'est inscrit au TNS et puis il est devenu scénographe.
Ce qui est très important à la radio, c'est cette idée qu'on peut passer commande. Un jour on me dit : " C'est le trentième anniversaire de la Maison de la radio et il faut que vous fassiez quelque chose ". J'ai eu l'idée de réunir des comédiens qui faisaient beaucoup de radio, j'ai pris des anciens comme François Perrier et Guy Tréjean, des moins anciens comme Christiane Cohendy ou Gérard Desarthe, une débutante à la radio comme Isabelle Carré et puis quelques jours avant, un soir, j'appelle Grumberg, je lui donne la liste des comédiens et lui demande s'il peut écrire un texte de 20 minutes pour eux pour dans huit jours ? Il me répond que je suis fou, raccroche, et me rappelle le lendemain. " Je suis aussi fou que toi. " Quelques jours après il m'a remis un texte. Je téléphone à Perrier. Il me répond simplement : " Dites à Jean-Claude qu'il n'oublie pas de venir avec le manuscrit. " et il raccroche. C'était un mardi, il avait rendez-vous à 14 heures dans mon bureau. Georges Peyrou, le réalisateur, les a reçus, ils ont déchiffré le texte pour la première fois et à 15 h 30, ils l'ont donné en direct et en public dans mon studio. Idée que je reprendrai souvent : passer commande à un auteur avec des comédiens de qualité, motivés, et donner à entendre pour la première fois un texte sans filet face à un public.

J'aimerais que tu me parles un peu des moments qui t'ont le plus marqué dans tes émissions.
Il y en a beaucoup. Un jour Bernard-Marie Koltès me remet le manuscrit de Zucco et me dit : " J'aimerais bien que tu le lises, et si il te plaît, tu le passes à la radio ". Je le lis et je lui dis : " C'est formidable, mais il pose quelques problèmes. Il faudrait peut-être revoir sur la fin une certaine unité dans l'écriture, quelques passages comme ça ". Il me répond : " Je sais, mais il y a urgence pour moi ; je veux d'abord l'entendre ". On a demandé à Anouk Grinberg, qui jouait à Toulouse, et Catherine Lemire et on a réalisé la pièce. Malheureusement il est mort avant d'avoir pu la réécrire. Pour moi c'est un grand souvenir.
Dans un autre genre, le directeur de France Culture, Jean-Marie Borzeix, me dit : " Lucien, j'ai un problème. Le Festival de Montpellier a lieu dans deux mois, et le projet que j'avais est tombé à l'eau. C'est le cinquantième anniversaire de la seconde guerre mondiale. Il faut que ce soit lié à ça ". Je pense tout de suite à Liliane Atlan qui a écrit Un opéra pour Terezin, une pièce injouable telle quelle, car elle dure sept à huit heures. Au point où on en était, je propose un pari : on commence à 22 heures, on la joue en direct et en public, et on termine à l'aube. Borzeix me demande : " À quelle heure ? " Je lui dis : " Justement, je ne sais pas, à l'aube ". Et, avec ma complice Christine Bernard-Sugy on a fait une émission formidable avec une distribution de vingt-cinq comédiens, chanteurs et musiciens. Le matin il y avait encore deux cents personnes qui n'avaient pas quitté leurs sièges. C'était merveilleux. On est allé chercher des croissants chauds chez le boulanger et il a proposé de préparer aussi du café et du chocolat pour le public.
Avec les auditeurs aussi il y a eu des dialogues émouvants. Par exemple, une fois j'ai reçu une lettre de la mère supérieure d'un couvent du Cantal me disant que tous les samedis soir elle était à l'écoute du " Répertoire " et elle a fait une remarque que je n'ai jamais oubliée : " Certes, les pièces ne sont pas moralisatrices, mais étant donné l'époque où nous vivons, ce serait dommage qu'elles le soient ".
Je n'oublie pas non plus les débuts de Jean-Luc Lagarce ou de Didier-Georges Gabily ou encore la programmation de Thomas Bernhard dont personne ne voulait jouer les pièces en France et que j'avais retenues à plusieurs reprises dans le NRD avant qu'elles ne soient ensuite créées au théâtre.
Tu n'as jamais voulu écrire de pièces. Tu es vraiment un passeur, un passeur toujours dans l'enthousiasme, dans l'empathie. Tu ne parles jamais d'une pièce pour la démolir.
Parce que je ne suis pas un concurrent de l'auteur. C'est important pour moi. Je considère que je suis un technicien, que je connais les choses. Ma complicité avec les auteurs prend différentes formes.
Par exemple, celle qui nous lie Michel Vinaver et moi remonte à 1972 avec la mise en espace par Jean-Pierre Dougnac, à Théâtre Ouvert à Avignon, de La Demande d'emploi. Il a écrit que cela l'avait remis en selle seize ans après la création des Coréens par Roger Planchon et Jean-Marie Serreau. Depuis, il a écrit un des plus beaux textes que je connaisse sur la mise en espace. Lorsqu'Alain Françon a présenté Les Travaux et les Jours en itinérance, nous avons joué à Metz, et c'est à cette occasion que Philippe Minyana m'a remis timidement son premier texte. L'année suivante Théâtre Ouvert était invité à Beaubourg. Nous avons présenté la " mise en scène " de Les Travaux et les Jours et la " mise en espace " de Cartaya, de Philippe Minyana, par Viviane Théophilidès.
Une fois, Jean-Claude Grumberg me donne une pièce à lire et je lui dis : " C'est bien, mais à la scène 5, je décroche ". Quinze jours après il me rapporte la pièce et là je ne décroche plus. J'ai été très vexé quand il m'a dit qu'il n'avait pas touché à la scène en question ! En fait la scène 5 était amorcée par la scène 3 et il l'a simplement changée de place. Je ne pouvais pas le savoir, je ne pouvais que lui dire où j'avais décroché. L'auteur a su trouver la solution parce qu'il savait bien que j'avais lu sa pièce de l'intérieur.
Je suis un technicien intuitif qui pense au plateau quand il lit un texte de théâtre, mais je ne suis pas un praticien de l'écriture sinon j'écrirais moi-même des pièces… et je n'oserais peut-être pas les donner à lire à quelqu'un d'autre !

Lucien Attoun, co-directeur de Théâtre Ouvert
entretien réalisé par Sabine Bossan

Théâtre Ouvert
4 bis, cité Véron
75018 Paris
tél : + 33 (1) 42 55 74 40
fax : + 33 (1) 42 52 67 76
theatreouvert@wanadoo.fr
www.theatre-ouvert.net