À
une époque où il n’est question
que d’efficacité, de rentabilité,
il n’est peut-être pas inutile de rappeler
qu’un auteur de théâtre est un
créateur… d’emplois, quand il est
joué. Autour de mots lâchés sur
le papier, comédiens, décorateurs, éclairagistes,
costumiers, musiciens et autres se rassemblent. Une
petite P.M.E. quoi.
Avec Dis à ma fille que je pars en voyage,
que ce soit au Théâtre du Rond-Point
ou au Théâtre de l’Œuvre,
des salles pleines, un public, donc des recettes.
Si, si restons concrets.
Est-ce pour autant que le bienheureux auteur est
accablé de propositions de la part des directeurs
de théâtre ? Que nenni. Impossible de
profiter pleinement et sereinement du succès.
Il faut penser à l’avenir, organiser
des lectures pour faire entendre une prochaine œuvre
qui pourrait générer… je ne vous
accable pas avec ma liste, quoique… comédiens,
décorateur, atelier de construction des décors,
éclairagiste, costumier, administrateur…
Pardon, c’est grisant.
Alors, lorsque je reçois aujourd’hui
des pièces de consoeurs ou de confrères
m’imaginant auréolée d’un
certain pouvoir « Avec vos deux Molières,
tout de même… », souhaitant que
je les aide, je ris jaune. Que faire ? Je peux déjà
si peu pour moi.
Je me dois d’évoquer cette situation
pendant que j’ai encore un peu de lumière
au-dessus de ma tête, sinon on passe vite pour
un auteur aigri. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Pourquoi, alors qu’une pièce est jugée
bonne, cela m’arrive, s’entend-on toujours
répondre : « Quelle est la star qui va
la jouer ? » Les stars étant toujours
très occupées, c’est d’ailleurs
à cela qu’on les reconnaît, le
tout est courtoisement remis aux calendes tragiquement
grecques.
Mais… oui…, ma pièce, si c’était
elle, la STAR ? Au tour du directeur de rire, d’un
bon rire franc.
Pourquoi dire : « C’est formidable, mais
pas chez moi » ? Pour où alors ? Ailleurs,
ici, là-bas, les idées fusent. Ailleurs
ce sera vraiment le lieu idéal.
Parfois je rage de ne pas être suffisamment
bilingue. En France il n’y a plus d’auteurs
mais les Anglais, les Américains, eux ils savent
écrire de bonnes pièces avec de vrais
personnages. Adaptons.
Moi aussi je peux m’adapter, dans tous les
sens du terme. Ma prochaine pièce, je l’écris
in english (sans être bilingue, j’ai quelques
bases) sous un pseudonyme. Et puis je sors l’adaptation
qui sera la version originale, toute prête,
au cas où…
Pourquoi ? Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi.
Plus j’écris, moins je comprends. Mais
comme c’est vital, je continue. Pour combien
de temps ? Combien de temps reste-t-on un auteur-dramatique-français-contemporain-vivant
? À force d’aller au charbon, on risque
d’attraper de vilaines maladies : ulcères,
migraines, surproduction de bile… Cette liste-là
est moins grisante.
Si une fois devenue auteur-dramatique-français-contemporain-pas
vivant-hélas, j’étais sûre
que tout soit plus facile pour ceux qui tenteraient
de…, en souvenir…, je « mourirais
» tout de suite.
Mais… Même pas sûr.
Denise Chalem
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