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Jean-Pierre Bigard : Pleins feux sur un homme de l’ombre

 
     
 

Pourriez-vous tout d’abord dire quelques mots de votre parcours ? Comment êtes-vous devenu producteur puis directeur du Palais des Glaces ?
Il y a quinze ans, j’étais directeur commercial à Troyes. Le milieu artistique ne m’attirait pas particulièrement et je n’avais aucune velléité de vivre à Paris. Et puis en 1991, mon frère Jean-Marie m’a demandé de venir l’aider à gérer sa société de production. C’est ainsi que je suis arrivé dans le métier, en autodidacte. En 1997, j’ai décidé de créer ma propre société de production de one man shows. C’était d’une part le domaine que je connaissais le mieux et d’autre part j’étais touché par l’hypersensibilité et la générosité de ces humoristes capables de se remettre en question tous les jours.
Ensuite, tout en restant producteur, j’ai eu envie de diriger un théâtre. Quand s’est posée l’opportunité du Palais des Glaces, un lieu qui m’était familier et qui avait accueilli Jean-Marie, je n’ai pas hésité, malgré l’énorme travail de recherche de financements que cela a entraîné. J’ai pris la direction de ce lieu en 2002 et j’accueille et produis des spectacles de one man shows et des comédies.

 
     
 

Comment définiriez-vous l’humour ou la comédie ? Y a-t-il des sujets tabous ?
Il me semble difficile de définir l’humour. Pour ma part, je dirais que l’humour c’est essayer de rire de ses défauts et de tous les petits tracas du quotidien. Il n’y a pas de sujet tabou, à la condition de ne pas heurter, de ne pas faire mal. Mais quel beau métier ! Les humoristes sont des marchands de bonheur que j’envie car ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir faire oublier les tracas de la vie quotidienne le temps d’un spectacle.

 
     
 

Comment découvrez-vous les spectacles ? En allant les voir ? En regardant des vidéos ? En lisant les textes ? Quels sont vos critères de sélection ?
Je vais voir un maximum de spectacles – que je préfère aux vidéos – et je lis de nombreuses pièces. Je fréquente assidûment les festivals des pays francophones, afin de voir les spectacles des humoristes et de discuter avec eux, comme le festival de Rochefort en Belgique, le festival Juste pour rire au Canada, celui de Morges ou Montreux en Suisse, ainsi que de nombreux festivals en France. Il y a aussi, bien sûr, des spectacles que l’on me propose. Il peut aussi arriver que je demande des lectures scéniques. Mais à partir du moment où je crois au succès d’une pièce, je demande l’avis de mon équipe et nous décidons ensemble.
Pour les one man shows, je suis souvent dans le jury de festivals. On me demande régulièrement de juger les interprètes à partir d’une fiche-type de notation. Pour ma part, je préfère m’en tenir à des critères relevant de l’originalité, du charisme, du talent et de la capacité à surprendre du comédien.
Pour les comédies, le critère réside dans la capacité à intéresser le public à travers une histoire dans laquelle il puisse se reconnaître. Par exemple, J’aime beaucoup ce que vous faites de Carole Greep est une pièce qui parle d’un téléphone portable que l’on a oublié de verrouiller. Cela nous est arrivé à tous.
Ce qui me passionne dans ce métier, c’est, sur un terrain vague, de monter des murs, d’entourer l’artiste des compétences dont il a besoin.
Depuis quatre ans je reçois un nombre hallucinant de propositions, des textes et des dvd. Des dvd souvent de mauvaise qualité, tournés dans de mauvaises conditions. Beaucoup imitent les stars et d’autres sont simplement des raconteurs de blagues. J’essaie de leur expliquer que le métier d’humoriste est un vrai métier. C’est parfois très difficile de ne pas encourager un jeune, mais si je pense qu’il fait fausse route, je préfère lui dire la vérité. Malgré tout, il faut faire très attention car les exemples ne manquent pas de gens en qui personne ne croyait et qui finalement ont réussi.

 
     
 

Comment, selon vous, devient-on un auteur ou un interprète de one man ou de one woman show ? Les acteurs ont-ils des « maîtres » ?
Les artistes de one man show sont rarement issus d’une école de théâtre. Les humoristes sont en général autodidactes.
Mais ce sont tous des individus hypersensibles qui ont un besoin démesuré d’être aimés. Leur premier spectacle est souvent autobiographique. Leur principale ambition est de séduire le public avec leur seule arme : le rire. Ce sont de grands séducteurs. C’est avant tout le public qui va les rendre célèbres. Et si la notoriété est au rendez-vous, les portes du cinéma et de la télévision s’ouvriront peut-être.
Beaucoup d’humoristes ont été influencés dans leur jeunesse par des comédiens qui leur ont donné l’envie de faire ce métier. Ceci dit, la grosse erreur serait d’essayer de copier le « Maître ». Il faut donc construire un univers très personnel. Ensuite, c’est le public qui va adhérer ou non à cet univers.

 
     
 

De plus en plus de femmes de talent exercent ce métier. Va-t-on vers une parité ? On dit pourtant que les hommes n’aiment pas les femmes qui ont de l’humour.
Depuis que je suis producteur, j’ai pu constater que le nombre de femmes avait beaucoup évolué. C’est vrai qu’il n’y a pas si longtemps, une femme n’était pas associée au rire. Aujourd’hui la rivalité est omniprésente et, sur scène, la femme est devenue l’égale de l’homme. Jacqueline Maillan, il y a quelques années, a contribué à cette reconnaissance féminine.

 
     
 

Existe-t-il une grande part d’improvisation dans les spectacles ou sont-ils tous très écrits ?
Le spectacle est en général très écrit. Mais heureusement, il y a toujours une part d’improvisation qui naît au fil des représentations et qui est intégrée ou non selon les réactions du public. C’est tout le charme du spectacle vivant.

 
     
 

Devinez-vous à l’avance les auteurs ou/et acteurs qui sauront écrire de bonnes comédies?
Je voudrais bien avoir la science infuse, mais ce n’est pas le cas. Je pense que si un auteur est capable d’écrire un bon one man show, il est capable d’écrire une bonne comédie, mais les cas sont encore rares. On peut toutefois citer Jean-Luc Lemoine, Dany Boon, Pierre Palmade. 80% des acteurs sont auteurs de leur one man show. Pour une comédie, c’est un peu différent.
Pour ma part, j’essaie simplement de conserver mon regard de spectateur et me mettre à la place du public. Mon seul critère pour juger est le feeling : je ne suis ni auteur, ni metteur en scène.

 
     
 

Les auteurs de one man shows se connaissent-ils entre eux ? Vont-ils voir les spectacles des autres ?
Les humoristes se connaissent tous et vont voir régulièrement leurs confrères jouer, mais l’histoire ne dit pas dans quel état d’esprit. C’est sûrement par amitié, sans doute par curiosité. Il y a une grande tendresse, une grande complicité et une grande fraternité entre certains d’entre eux. Par exemple, Bigard, Palmade et Baffie sont complices au point d’avoir régulièrement des collaborations d’écriture.

 
     
 

Pourriez-vous dire ce qui fait rire aujourd’hui et qui diffère de l’époque à laquelle vous avez commencé dans le métier de producteur ?
Les sujets abordés aujourd’hui l’étaient déjà avant et le seront toujours. Je remarque cependant un genre issu des États-Unis qui essaie de percer en France : le stand up, où l’acteur discute avec le public de manière informelle pendant son spectacle. Jamel Debbouze, Gad Elmaleh, Julie Ferrier, Tomer Sisley ont tenté avec succès cette discipline.
Depuis quelques années, il est de plus en plus difficile d’aborder les questions de religion et de racisme. C’est à mon avis regrettable. Aujourd’hui, il faut être juif pour se moquer des juifs, noir pour se moquer des noirs, etc. À tel point que je me demande si le sketch de Muriel Robin parlant d’une jeune fille annonçant à sa mère sa liaison avec un noir ferait encore rire. Le langage, en revanche, est moins châtié qu’avant et on ose aborder des sujets, comme le sexe, qui étaient autrefois tabous.

 
     
 

Quel est votre public ? A-t-il évolué ?
Le public évolue en fonction des spectacles proposés. Le public jeune est un gage de succès pour un directeur producteur. Les filles tout particulièrement ; le bouche à oreille fonctionne mieux avec elles, certainement plus bavardes que les garçons.
Nous travaillons également énormément avec les comités d’entreprise qui donnent un côté festif à la sortie théâtrale, avec les agences et les autocaristes qui organisent des voyages en bus jusqu’à Paris. Aller voir un spectacle à la capitale reste magique, et n’empêche pas de le revoir dans sa région. Il ne faut pas oublier que 40% du public à Paris vient de province.

 
     
 

Quels sont vos principaux supports de communication, en dehors du bouche à oreille ?
A Paris, pour les one man shows, c’est l’affichage, les tracts, la presse, internet et la télévision qui est très importante. Les comédies s’appuient avant tout sur la presse. Je trouve regrettable que la télévision ne vole qu’au secours du succès. Un artiste peu connu a très peu de chances de passer à la télé.
On ne peut donc compter que sur le bouche à oreille. J’ai en mémoire un bon exemple : quand j’ai commencé avec Michèle Bernier dans Le Démon de midi, je n’ai fait aucune publicité autour de son spectacle. Le bouche à oreille a été si fulgurant que la salle affichait complet au bout de trois semaines.

 
     
 

Combien de spectacles pouvez-vous produire ou accueillir dans les différentes salles de votre théâtre pendant une saison ?
Je programme quatre spectacles par jour, deux dans la grande salle, deux dans le Petit Palais des Glaces, ainsi qu’un spectacle jeune public en matinée, et je fais une à deux créations par an. Les tournées s’organisent à partir d’un succès parisien. La vitrine, c’est Paris.

 
     
 

Y a-t-il une meilleure heure de programmation selon les spectacles ? Et comment l’expliquez-vous ?
Disons que si le spectacle est « familial », il sera programmé en début de soirée. Pour des raisons pratiques, je programme souvent la comédie en première partie en raison du temps de montage des décors qui nécessite souvent plusieurs heures. Ils peuvent être démontés en dix minutes et faire ensuite place au one man show. En réalité, il n’y a pas de règle établie. Aujourd’hui, les théâtres ont tendance à programmer les spectacles dès 19h00. Je pense que c’est un peu tôt, à moins d’avoir une star à l’affiche. Je ne me risquerais pas à programmer un one man show d’un artiste peu connu à cette heure-là. Mais je pense que la question des horaires est un faux problème. Si l’on a envie de voir un spectacle, peu importe l’heure.

 
     
 

Les spectacles font-ils plutôt l’objet de support dvd ou de support papier ?
Une sortie dvd est quasiment systématique pour un one man show, plus facile à vendre qu’une comédie. Mais une comédie peut être éditée, ce qui est rarement le cas pour un one man show.

 
     
 

Le café-théâtre est-il en train de disparaître ou de changer de registre ? Y a-t-il une solidarité entre les théâtres ?
Ce sont des one man shows que l’on joue dans les cafés-théâtres, rarement des pièces. Il y a encore beaucoup de petits lieux à Paris qui ont dû évoluer en raison des contraintes économiques. Il est plus facile de créer une pièce dans un théâtre privé qu’un one man show, car celui-ci ne bénéficie d’aucun soutien financier.
Je ne sais pas si on peut parler de solidarité entre les théâtres.
Pénélope 1 a très bien marché au Palais des Glaces. Ma programmation étant déjà établie pour cette rentrée 2006-2007, c’est le Théâtre Fontaine qui accueille Pénélope 2. Je suis heureux d’avoir servi de tremplin pour cette pièce.

 
     
 

Certains one man shows, outre Muriel Robin ou Pierre Palmade, peuvent-ils être adaptés/traduits pour être joués dans un pays non francophone ou bien sont-ils tous trop liés à l’acteur lui-même ?
Ca dépend du texte. Il y a des thèmes universels.
Le Démon de midi de Michèle Bernier, a été traduit dans de nombreuses langues. Le one man show n’est pas un gage de succès à l’étranger car il est très lié à la performance et au charisme de l’artiste ainsi qu’aux thèmes proposés souvent franco-français. Il faut se méfier des adaptations.
Ce que je peux en revanche affirmer, c’est que la France a les meilleurs one man shows. Les stars de l’humour sont françaises et s’exportent très bien. Les Français ont beaucoup de succès à l’étranger, contrairement à nos amis suisses et belges qui ont un peu plus de mal à conquérir l’hexagone.

 
     
 

C’est magnifique de parler avec vous, parce qu’on sent que vous êtes réellement passionné par votre métier et que vous mettez tout votre savoir-faire au service de vos artistes. Nous devons tout de même conclure, je vous laisse le mot de la fin.
C’est vrai que je me consacre entièrement à ma passion pour ce métier et j’essaie de le faire le mieux possible. Le producteur est l’homme sur qui l’artiste se repose. Il compte sur lui pour l’entourer des compétences dont il a besoin (co-auteur, metteur en scène…).
Le producteur est un homme de l’ombre qui doit accompagner son poulain vers la lumière. Il n’a pas toujours eu bonne réputation, on l’assimile souvent à un exploiteur ; c’est mal connaître ce métier. Pour ma part, je suis parfaitement incapable de m’investir totalement pour quelqu’un que je n’aime pas. J’ai envie d’aider les créateurs en privilégiant les jeunes auteurs. C’est un risque, mais il faut savoir accepter les échecs car il y a de très bons moments.
J’ai vécu une aventure merveilleuse en compagnie de Marie-Pascale Osterrieth et Michèle Bernier. Le Démon de midi a commencé au Petit Palais des Glaces pour finir en apothéose à l’Olympia après 600 représentations et j’en suis très fier.
Je crois aussi beaucoup au spectacle de Vincent Dubois et Jean-Christian Fraiscinet, Les Bodin’s – Bienvenue à la capitale, à l’affiche depuis septembre 2006. Ce spectacle créé par deux artistes de talent est une véritable performance d’acteurs. Je mets tout en œuvre pour favoriser son succès.
Pour terminer, je voudrais émettre un souhait : que les théâtres prennent davantage le risque de programmer de jeunes auteurs. La tendance est à la sécurité. Il faudrait motiver la relève.

 
     
  Entretien avec Jean-Pierre Bigard
conduit par Sabine Bossan
 
 

 
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