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Inaccessibles amours
Paul Emond
Inaccessibles amours
Gilles-Vincent Kapps, Carole Breyer - Photo : Benoît Linder
Actes du théâtre n° 15.[ imprimer ]
« On est toujours seul », dit Caracala à la serveuse du bistrot. Ce qui ne les empêche ni l’un ni l’autre, ni l’homme au visage ensanglanté qui surgira un peu plus tard, de se lancer à perdre haleine dans des récits où il sera notamment question du goût de la mère de Caracala pour les hauts talons, d’excursions à Ostende, des varices de la serveuse et de son avenir professionnel incertain, du pubis rasé d’une certaine Gisèle, des vertus réparatrices des fleurs blanches, d’une manifestation d’agriculteurs ou d’une belle femme noire enfermée avec Caracala dans le frigo de la boucherie de celui-ci. Et les amours, dans tout cela, demanderez-vous ? Eh bien, inaccessibles, les amours, puisqu’on est toujours seul.

« Paul Emond s’aventure dans une langue d’une constante invention, sur le terrain du boulevard, mais en tentant la synthèse de Noël Coward et de Botho Strauss, voire de Thomas Bernhard. On retrouve l’humour détaché du premier, la gravité joyeuse du deuxième, la férocité et le goût du récit du troisième. »
Jacques De Decker, Le Soir (Bruxelles), 6 décembre 1997

Création au Théâtre du Rideau de Bruxelles, 1992. Reprise en 2001 et 2002 ; tournée janvier et février 2003.
Mise en scène : Olivier Chapelet. Décor, Lumière : Pierre Diependaële. Musique : Olivier Fuchs. Costumes : Françoise Dapp-Mahieu.
Avec : Carole Breyer, Gilles-Vincent Kapps, Jean-Philippe Meyer.
Traductions néerlandaise (éd. Lansman, coll. bilingue), américaine (Ubu Repertory Theater Publications), roumaine (Ed. Libra), slovaque et bulgare.

Personnages : 1 femme(s) - 2 homme(s) -
Édité chez Tapuscrit Théâtre Ouvert, 1992, puis Lansman, 1994 (avec Malaga). - www.lansman.org

L’homme C’est toujours comme ça et c’est une honte et on appelle ça la démocratie ! Vous voyez la gueule qu’ils m’ont faite ? La police, parfaitement, la police ! Mais je ne laisserai pas passer l’affaire et j’ai le bras long, nom de Dieu ! Je ne vais tout de même pas me laisser assassiner par la police sous prétexte que les agriculteurs manifestent ! Je ne vais tout de même pas, moi qui vous parle, me faire tordre les couilles sans réagir ! Servez-moi de l’alcool, n’importe quoi, du whisky, un grand, beaucoup ! Gisèle m’attendait, je leur ai dit que Gisèle m’attendait et c’est ce qui a fait déborder le vase. Bien sûr, ce n’est pas une Gisèle qui doit les attendre, eux, c’est une bobonne avec de la moustache et des poils en dessous des bras. Alors ça les met de mauvaise humeur et ils cognent encore plus fort. Surtout si tu leur dis que ta Gisèle t’attend ! Elle qui était si excitée au téléphone parce que je lui ai dit que j’arrivais tout de suite. Je ne devrais pas vous le dire mais je vais vous le dire quand même mais ne me dites pas que ce n’est pas convenable, je m’en bats la trompe : elle m’a dit au téléphone : tu vas voir, je me suis rasé le pubis. Alors moi, je lui ai dit : j’arrive, j’arrive, surtout ne bouge pas, j’arrive tout de suite ! Je saute dans ma voiture, je roule à fond la caisse, je brûle trois feux, j’ai l’âme qui exulte et qui tonitrue : ma Gisèle s’est rasé le pubis ! Ma Gisèle à moi ! C’est pas tous les jours dans la vie, hein ! Et boulevard Lemonnier, tout est bloqué, c’est la manifestation des agriculteurs qui passe, plus moyen d’avancer ni de reculer. Ces sales vaches d’agriculteurs européens ! Ah, je vais vous en foutre de l’Europe, moi ! Je vais leur tordre les couilles, oui ! Sers-moi la même chose. Beaucoup. Laisse, je sais que ça saigne, laisse saigner, pour ce que ça change maintenant ! Une heure que je suis resté bloqué ! Est-ce que tu peux m’imaginer, dans ma bagnole, bloqué pendant une heure en pensant à Gisèle ? Moi pas. Alors forcément, je me suis mis à klaxonner comme un dingue, un autre aurait fait pareil. Alors forcément, j’ai essayé de passer en montant sur le trottoir. Alors forcément, j’étais prêt à foncer dans le tas. Sur des agriculteurs grecs ou suédois, je sais plus ce qui passait à ce moment-là et d’ailleurs je m’en bats la trompe. Pauvre Gisèle !