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Les héros sont récurrents
Jean Larriaga
Les héros sont récurrents
Victor Haïm - Photo : Manuel Larriaga
Actes du théâtre n° 16.[ imprimer ]
55 ans, comédien de second plan, Pierre décroche LA chance de sa vie : il est choisi pour être l’un des « mulets » d’une énième série policière de prime time. Le succès est phénoménal et engendre des suites et des suites, enchaînant durablement Pierre à son personnage. Mais comment l’incarner, vieillir avec, quand à chaque épisode la Chaîne le modifie au gré du dieu « audimartre » ? La schizophrénie est au rendez-vous.

« Jean Larriaga connaît bien la télévision. Il sait que le seul impératif de ses décideurs est le souci de l’audience et que les situations qu’on met en scène s’inspirent d’une réalité spécieuse. Rien ne les égale en sottise, sauf le spectateur qui s’en délecte. Fasciné par le reflet de la lanterne, il préfère l’ombre à la lumière, le mirage à la vie. »
Danielle Dumas, directrice de la collection « Les Quatre-Vents »

Lecture au Théâtre du Renard interprétée par Victor Haïm, Paris, 3 février 2003.

Personnages : 1 homme(s) -
Éditions de L’Avant-Scène, collection « Les Quatre-Vents ».

PIERRE Chérie ça y est, je suis pris ! C’est moi qu’on prend, ça y est !... C’est moi ! (Il se contient en faisant le tour d’un coin de la scène et en y considérant une présence invisible assise.) Ça va toi ? Le docteur et venu ? Qu’est-ce qu’il a dit ? (Une ombre d’inquiétude et puis l’excitation reprend le dessus.) J’ai signé tu sais, on n’a plus de souci à se faire, mais quelle séance !... Dommage que t’aies pas pu y assister depuis un trou de souris. En fait, on m’attendait... l’état-major de la chaîne au grand complet... Moi je croyais que j’allais à un casting de plus... un examen de passage de ma gueule, mais non ! Non !... Les décideurs m’attendaient moi pour tout mettre au point, ils étaient déjà fixés à 95 %, c’est agréable, tu te sens porté. Je me suis senti porté tout le temps qu’on a conversé... Deux heures rien que pour me préciser mon rôle, c’est pour te dire qu’ils savent ce qu’ils veulent. (Jubilation intense.) Tiens-toi bien, la chaîne me choisit moi pour être un des trois héros d’une série qui va faire un malheur parce que rien n’a été négligé pour qu’elle en fasse un... On va tout casser, et je suis dedans ! Mais pas seulement comme comédien de passage... non, récurrent... héros récurrent... Je suis un pilier d’une maison de douze épisodes de cent minutes en prime time du mercredi... Y a cinq autres séries en chantier, diffusion sur trois ans, la chaîne voit loin.
Pendant que je te parle, douze scénaristes sont en train de pondre dans un atelier d’écriture en face du bureau du directeur des programmes. Je les ai aperçus. Ils étaient là depuis 9 heures. Ils pondent jusqu’à 13 heures, ils s’interrompent une heure pour déjeuner si ça les intéresse et ils s’y remettent jusqu’à 17 heures. De 17 à 18, la chaîne vient superviser ce qu’ils ont pondu dans la journée et on en parle à bâtons rompus en laissant sa fierté au vestiaire... Je le sais parce que les décideurs ont tout mis sur la table pour que nous, les récurrents, nous jouions en confiance.
Tu m’écoutes ?...
Alors sur les douze scénaristes, t’as trois écrivains professionnels, six ex-policiers qui fournissent de la violence plausible et des anecdotes de terrain du genre qu’un scénariste pourrait pas les imaginer. Et t’as trois anciennes assistantes sociales qui apportent leur mal vécu à la série, qui sera une grande série de proximité...
D’ailleurs nous trois, les récurrents, avec nos caractères volontairement contrastés, nous conservons chacun des caractéristiques de proximité. On est des flics mais on a nos problèmes et on fait notre boulot en trimballant nos fêlures... Même que dans des moments critiques, le doigt sur la gâchette, elles resurgiront, tu vois ?... Mais c’est ça qui nous rend proches et c’est ça que veut la chaîne. On est des grands frères avec un port d’arme...
La série va s’appeler Commissaire Claire Leroc.