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Vers toi Terre Promise - Tragédie dentaire
Jean-Claude Grumberg
Vers toi Terre Promise - Tragédie dentaire
DR
Actes du théâtre n° 28.[ imprimer ]
Qui aime aller chez le dentiste ? Un chœur, hérité des tragédies classiques, nous fait pénétrer dans l’intimité du cabinet du Dr Spodek. Un petit garçon, devenu narrateur, se souvient des séances trop fréquentes après-guerre chez le dentiste où l’emmenait sa mère. Mais à douleur, douleur et demie, le dentiste et sa femme vivaient une tragédie personnelle autrement plus pénible. Avec émotion, humour et tendresse, Jean-Claude Grumberg évoque ces parents orphelins de leurs enfants face à leur deuil impossible.

« Charles et Clara Spodek sortent juste de la guerre et leurs blessures sont encore vives. Il y a l’absence, surtout : deux filles qui ne sont plus là, Jeannette morte en déportation et la seconde recluse dans un couvent. Un seul objet demeure sur scène sans changer de visage : le siège des douleurs où les patients viennent se faire soigner les dents. Un chœur, hérité des tragédies classiques, nous fait pénétrer dans l’intimité du cabinet du Dr Spodek. Un petit garçon, devenu narrateur, se souvient des séances chez le dentiste où l’emmenait sa mère. Comme un relais entre hier et aujourd’hui, il tisse l’histoire, au sein du chœur, et nous donne la distance nécessaire à toute tragédie.
Avec émotion, humour et tendresse, Jean-Claude Grumberg évoque ces parents orphelins de leurs enfants face à leur deuil impossible. Vers toi Terre promise parle de l’effondrement d’une famille après le génocide, de la difficulté de se reconstruire et de continuer à vivre, de la douleur des êtres qui ne connaîtront jamais l’oubli refusant les illusions de la religion et de l’espoir qu’elle chante. »

Création au Théâtre du Jeu de paume, Aix-en-Provence du 14 au 22 novembre 2008, puis tournée. Théâtre de la manufacture de Nancy du 10 décembre 2008 au10 janvier, Théâtre des 13 vents à Montpellier du 24 au 28 février, Théâtre du Rond-Point à Paris, du 4 au 28 mars et du 7 au 11 avril 2009, Théâtre Cameri à Tel Aviv du 31 mars au 4 avril 2009.
Metteur en scène : Charles Tordjman. Scénographie : Vincent Tordjman. Lumières : Christian Pinaud. Costumes : Cidalia Da Costa. Musique : Vicnet. Avec : Philippe Fretun, Antoine Mathieu, Clotilde Mollet, Christine Murillo.

Personnages : 4 femme(s) - 2 homme(s) -
Actes Sud - Papiers

Chez les Spodek. Un appartement et un cabinet de dentiste.
CHARLES Tu parles avec elles.
CLARA Non, non
CHARLES Si tu parles.
CLARA La pluie, le beau temps, bonjour, bonsoir, comment ça va…
CHARLES Voilà : comment ça va.
CLARA Non, non, juste comme ça.
CHARLES Avec gestes.
CLARA Avec gestes ? Quels gestes ? Charles tu me fais peur.
CHARLES Elles entrent et aussitôt avec leurs yeux tout en répondant avec leur bouche « Ca va » elles t’interrogent.
CLARA Elles m’interrogent ?
CHARLES Avec leurs yeux.
CLARA Non, non.
CHARLES Et toi tu penches la tête, tu tords tes mains.
CLARA Non, non, jamais jamais. Pourquoi tu dis ça, pourquoi ?
CHARLES Tu les fais entrer dans le salon…
CLARA La salle d’attente, oui oui.
CHARLES Tu t’y glisses avec elles, vous sortez vos mouchoirs et vous chuchotez en vous tamponnant les yeux.
CLARA De quoi tu me parles Charles !
CHARLES Et après elles entrent tête basse dans mon cabinet, soupirent en me voyant, bougent la tête, se hissent sur le siège, soupirent à nouveau, essuyage appuyé des yeux, nouveau soupir, mouchage, remouchage, tout ça tandis que moi j’attends qu’elles daignent ouvrir leur bouche et fermer leurs yeux.
CLARA Qui aime aller chez le dentiste Charles, qui ?
CHARLES Personne, je sais.
Bref silence. Clara s’essuie les yeux. L’assaut est terminé. Il reprend.
CHARLES Encore moins quand le dentiste et sa femme ont une fille déportée et l’autre au couvent.
CLARA Je n’en parle jamais. Je te jure sur la tête de…jamais jamais, avec personne.
CHARLES La prochaine fois que tu n’en parleras pas dis bien qu’il n’y a toujours rien de nouveau sauf que désormais si notre fille ne veut plus nous voir on ne veut plus la voir non plus.
CLARA Pourquoi ? Pourquoi tu dis ça ?
CHARLES Juste pour que tu saches quoi dire quand tu ne dis rien.
CLARA Jamais jamais je ne dirais une chose pareille. Pourquoi je dirais ça ?
CHARLES Pour que chaque cliente cesse de faire une gueule d’enterrement en se hissant sur mon trône. (Il regarde sa montre.) Qui on attend là ? (Il enchaîne sans laisser Clara répondre.) Pour qu’elles économisent leur pitié afin de la distribuer à d’autres qui en ont plus besoin que nous et surtout surtout pour qu’elles cessent définitivement d’encombrer ma salle d’attente.
CLARA Tu veux chasser tes patients Charles ?
CHARLES Je veux renouveler totalement mon fonds de clientèle oui ! Je ne veux plus voir sur mon siège que des gueules réjouies ne connaissant rien de nos vies ni de celles de nos filles, des clients qui se foutent des déportés du Vel d’hiv des gaz et même – bénis soient-ils – des carmélites. Je ne veux comme clients que d’anciens miliciens aux dents pourries, que d’ex-collabos édentés et des rédactrices de lettres anonymes, que je puisse leur arracher les nerfs à vif !