SACD - Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques
Entr'Actes
accueil
la moisson des auteurs
à l'étranger
la moisson des traductions
paroles d'auteurs
à l'affiche
au catalogue des éditeurs
archives actes du théâtre
 
 
Actes du théâtre :
la lettre d'information
 
Plan du site
 
[ anglais ]
 
 

la moisson des auteurs

 
     
Cassé
Rémi De Vos
Cassé
photo:Anne Nordmann
Actes du théâtre n° 54.[ imprimer ]
Un couple de travailleurs malmenés et laissés pour compte organise le faux suicide du mari, en espérant toucher un pactole. Il y a donc de la comédie dans l’air, tirant vers la satire sociale, un peu comme dans le théâtre russe. D’ailleurs, les références de Rémi De Vos sont à aller chercher du côté de Gogol, Ostrovski, Erdman ou Schwartz. Quant au personnage principal, il a tout d’un Oblomov, ce fainéant exemplaire du roman éponyme d’Ivan Goncharov.
L’humour grinçant cède pourtant la place au rire, car De Vos a le talent de pousser à l’extrême situations et dialogues d’apparence anodine. Servie par une troupe d’acteurs hauts en couleur, la comédie se déploie jusqu’à des sommets audacieux, tout à fait inattendus. À l’image des personnages, le spectateur est happé par cette spirale infernale, et ne ressort pas tout à fait indemne de l’expérience !

Création au TGP de Seine-Saint-Denis, le 12 janvier 2012.
Mise en scène : Christophe Rauck . Dramaturgie : Leslie Six. Scénographie : Aurélie Thomas. Lumière : Olivier Oudiou. Costumes : Coralie Sanvoisin, assistée de Peggy Sturm. Collaboration chorégraphique : Claire Richard. Création sonore : David Geffard. Avec : Émeline Bayart, Virginie Colemyn, Yveline Hamon, Juliette Plumecocq-Mech, Grégory Gadebois, Philippe Hottier, Dominique Parent, Michel Robin.

Personnages : 4 femme(s) - 4 homme(s) -
Editions Actes Sud-Papiers

CHRISTINE. Quand j’ai reçu ma lettre de licenciement, je me suis dit que dans un sens, c’était pas plus mal. Je commençais à en avoir marre de l’électroménager avec l’ambiance chez Prodex qui devenait pénible et que c’était tant mieux pour les Hongrois s’ils devenaient Prodex et se mettaient à assembler à leur tour. Je te jure, quand j’ai reçu ma lettre, j’ai ressenti du soulagement.

CATHY. Tu m’as déjà raconté la lettre.

CHRISTINE. Après dix-huit ans d’assemblage, je pensais retrouver du travail sans difficulté. Prodex, c’est quand même pas n’importe quoi, ça dit quelque chose à tout le monde. Enfin surtout aux vieux restés fidèles à la marque depuis les années soixante parce que c’était made in France et que les appareils avaient la réputation de jamais tomber en panne, un peu comme les appareils allemands qui avaient la réputation d’être solides à l’époque. Aujourd’hui, les jeunes s’en foutent que ce soit made in France. Made in Hongrie aussi, ils s’en foutent. Ce qu’ils veulent, c’est des appareils avec des couleurs flashy et des formes tarabiscotées, c’est ça qu’ils veulent. Et que ce soit solide, ils ne voient pas non plus l’intérêt. C’est juste que ça fait vieux l’argument de la solidité quand on est jeune.

CATHY. La solidité aussi tu m’as déjà raconté.

CHRISTINE. C’est bon pour les vieux d’avoir un appareil qui dure longtemps. Une Prodex. Une vieille Prodex qu’on branche et qui démarre au quart de tour. Dis donc maman, tu l’as depuis combien de temps ta cocotte ? Tu voudrais pas qu’on t’en achète une nouvelle pour ton anniversaire ? Pour tes soixante ans, tu voudrais pas d’une cocotte neuve ? Laisse, ma fille, j’en ai pas besoin d’une nouvelle, celle-là durera encore assez bien longtemps et tu sais pourquoi ? C’est une Prodex !

CATHY. Voilà !

CHRISTINE. Ça c’est le côté renfermé des vieux que les jeunes supportent pas. Ils préfèrent acheter des appareils tous les deux ans pourvu qu’ils soient de couleur flashy, et comme ça coûte moins cher vu que c’est de moins bonne qualité tout le monde est content surtout les Chinois puisque c’est leur marque de fabrique les appareils de mauvaise qualité à des prix défiant toute concurrence. Mais maintenant que l’assemblage va se passer en Hongrie, ce sera sans doute moins cher et ils vont peut-être en profiter pour revoir la gamme des couleurs et des formes aussi par la même occasion.

CATHY. Tu voudrais pas changer de disque ?

CHRISTINE. J’ai commencé chez Grofibus, c’était déjà bien. J’étais rentrée chez Grofibus grâce à un ami de mon oncle qui travaillait là-bas comme contremaître ou autre chose, m’en rappelle plus.

CATHY. Tu m’as déjà raconté Grofibus.

CHRISTINE. J’y suis resté deux ans chez Grofibus. C’est là que j’ai tout appris. Il n’y avait pas beaucoup de choix dans la gamme des appareils et moi j’assemblais toujours les mêmes. Chez Grofibus. Mais Prodex, c’était pas Grofibus. La gamme était bien plus variée. J’ai dû apprendre à assembler tous les appareils sans exception. Ça m’a pris des semaines avant de pouvoir m’en sortir seule.

CATHY. Dur.

CHRISTINE. Non, c’était bien chez Prodex. La preuve, c’est que j’y suis restée dix-huit ans.

CATHY. Christine, j’ai rencontré quelqu’un. Cette fois, je crois que c’est du sérieux.