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Les Corbeaux
Maryline Desbiolles
Les Corbeaux
DR
Actes du théâtre n° 72.[ imprimer ]
Cela se passe dans un temps de guerre, une guerre qui s'éternise et semble être devenue le destin de chacun. Amer a été lâche, il a trahi, et ne peut plus se présenter devant les siens autrement qu'en rampant. Face au murmure des reproches et à ces "corbeaux" mi-revenants, mi-épouvantails, qui ne cessent de lui demander des comptes, il tente d'élever une parole pour retrouver la face, dans un monologue toujours menacé d'interruption et qui dit la solitude non résignée d'un exclu parmi les siens.


"Ainsi rencontre-t-on souvent des personnages qui marchent, chez Maryline Desbiolles ; dans le rythme rapide de leur déambulation, poreux et pesants à la fois, ils s’enfoncent dans le monde et font corps avec lui. Amer, le personnage central des Corbeaux, qui ne « sait plus marcher », se souvient avec enthousiasme du temps où il galopait comme un jeune cheval. (…)
De livre en livre, dans la vacance d’un sujet dépris de lui-même, des voix étrangères se composent, que l’écriture pleine d’allant de Desbiolles accueille à foison et dispose selon la loi d’une syntaxe souple et hospitalière."
Extrait de : Etre allant : Maryline DesbiollesJean Kaempfer. Université de Lausanne
Paru dans Roman N°48

Les Corbeaux a été enregistré en public au studio 106 de la Maison de Radio France et diffusé sur France Culture le 20 juin 2006, dans une réalisation de Blandine Masson et sur une musique de Walter Nguyen et Jefferson Lembeye. Les interprètes étaient Hugues Quester, Stéphane Krahenbul, Luce Mouchel et Marc Bodnar.
La pièce a été rediffusée sur France Culture le 2 février 2014.

Personnages : 1 femme(s) - 3 homme(s) -
Le Seuil, Fiction & Cie collection - www.seuil.com

Quatre personnages: Amer, un homme encore jeune, épuisé cependant. Trois “figures” l’observent qu’il a surnommées par dérision: “les corbeaux”, “corbeau 1”, “corbeau 2”,“corbeau 3”. “corbeau 1” et “corbeau 3” sont des hommes, “corbeau 2” une femme. Amer rampe sur le sol d’un hangar où se tiennent les “corbeaux”. Pendant toute la durée de la pièce il va traverser le hangar d’un bout à l’autre en rampant , sous le regard des corbeaux.
AMER Je ne sais plus marcher, sur mes deux jambes, la tête relevée, le cou, les épaules déliées, la poitrine haute, je ne sais plus éprouver le bonheur de marcher, vite, les muscles répondant comme il faut, le corps tout entier engagé dans le galop, et cependant en retrait, les naseaux humant le vent, le corps disparaissant dans le mouvement qui le fait avancer, toute la machinerie du corps oubliée comme elle est tellement requise, tellement rassemblée, les pieds, les jambes, c’est entendu, le sexe, les fesses, la bouche, les yeux, et les cheveux, les cheveux pour donner du brio, la crinière au vent, je ne peux plus trotter comme un jeune cheval, excité, hennissant, la crinière et le souffle bruyant du cheval, cheval de course, course à pied, pied à terre, terre de feu, feu follet, pas un centaure, un vrai cheval, la crinière, les cheveux, mais aussi les poumons, le coeur, les intestins, parfaitement: les intestins, et l’estomac et tout ce que j’ignore derrière la peau, rien qui traîne, tout ça occupé à s’arracher, je ne sais plus éprouver le bonheur
d’aller, ah le bonheur d’aller, être allant, avoir de l’allant, les tempes vibrantes, et le souffle devenu épais, quasi solide, plus du tout un zéphyr, la vapeur d’une usine, le bruit de la respiration qui remplit tout le paysage, le paysage emporté par le bruit de la respiration, le paysage entré dans le corps, le paysage tenant lieu de corps, bien huilé le corps, répondant au doigt et à l’oeil, et même le goût du sang dans la bouche qui me paraît si délectable à présent, pas le goût de la peur, pas le goût de la haine, le goût de son propre sang, le goût de sa ferveur battant à tout rompre dans ses veines. Je ne sais plus marcher.
CORBEAU 1 (l’imitant avec emphase) Je ne sais plus marcher.
CORBEAU 2 (se moquant) Je ne sais plus marcher, je ne sais plus marcher.