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Père et manque
Pascale Lécosse
Père et manque
DR
Actes du théâtre n° 90.[ imprimer ]
Elle se souvient de l’été 1981, comme celui du renouveau, il se le rappelle comme celui du drame…
Qui a raison ? Margot, qui vit dans le déni, ou Pierre, qui survit sous le poids de la culpabilité ?
Entre concessions, mensonges et petits arrangements, depuis trente ans qu’ils s’aiment, leur couple a surmonté bien des tempêtes et leur vie paraît enfin paisible jusqu’au jour où Ana, une jeune inconnue, sonne à leur porte… Ils n’auront pas d’autre choix, puisque la vérité les rattrape, que de régler leurs comptes. Ils devront s’expliquer enfin, dissiper les malentendus, revivre le pire. Leurs échanges mordants, acides, nous baladent entre rires et larmes, pour nous entraîner au cœur d’un secret de famille.

« Margot et Pierre, un couple à la recherche de son passé, pour tenter de se reconstruire un avenir à deux. Margot, professeur de piano, est solaire et parle ‘espérance de vie’. Pierre, comédien célèbre, désabusé et cynique, broie du noir et parle ‘vieillissement de la population’. Deux visions du monde incarnant deux parcours de vie.»
Journal de Saône et Loire, Charles-Edouard Bride, 14 novembre 2015

« Ce texte excelle dans les rebondissements. Chaque fois qu’une situation répond à la question, une autre question s’impose, ce qui a pour effet de multiplier l’intrigue.
La comédie est caustique et le dénouement est inattendu. »
Comité de lecture Entr’Actes

Création au théâtre de la Celle Saint-Cloud, le 24 septembre 2015. Puis tournée 2015-2016 avec Atelier Théâtre Actuel dans toute la France.
Mise en scène : Olivier Macé. Avec : Véronique Jannot, Frédéric van den Driessche, Estelle Vincent, César van den Driessche.

Personnages : 2 femme(s) - 2 homme(s) -

PIERRE A quoi penses-tu ?
MARGOT A toi… A ton sourire quand je t’ai annoncé que j’étais enceinte…
PIERRE J’étais heureux de ton bonheur…Tu voulais tellement cet enfant…
MARGOT Pas toi ?
PIERRE Je n’étais pas pressé de te faire Mère, tu étais si jeune…
MARGOT Et toi si fier… Si inquiet aussi
PIERRE J’avais toutes les raisons de l’être, tu as dû rester allongée pendant les cinq derniers mois de ta grossesse.
MARGOT Ça en valait la peine ! Quel Amour c’était…Tu te le rappelles ?
PIERRE (encore traumatisé par la transformation du corps de Margot enceinte) Je me souviens de ces veines bleues, tentaculaires, qui couraient sur tes seins blancs, devenus trop lourds… Et aussi de cette trace brune, sur ton ventre tendu, prêt à éclater, qui te coupait en deux, comme une ligne de démarcation… D’un côté la jeune fille qui s’éloignait et de l’autre, la mère, qui naissait
MARGOT J’ignorais que tu avais gardé de ma grossesse un souvenir aussi (Un temps.) topographique !
PIERRE Et cette peur viscérale que tu avais de perdre ton Bébé…
MARGOT Notre Bébé.
PIERRE Tu refusais mes caresses…
MARGOT Faire l’amour m’était déconseillé !
PIERRE A toi, mais pas à moi !
MARGOT (sur l’humour) C’est une chose que l’on fait généralement à deux, mon Chéri (Un temps.) Sinon, ça s’appelle la…
PIERRE (sur son idée) Tu ne me regardais plus, tu ne me touchais plus…Tu couvais !
MARGOT Cela ne m’empêchait pas de t’aimer
PIERRE A cette époque, je me suis souvent posé la question…
MARGOT (acide) Avec tes copains, au casino ?
PIERRE (piqué) Je jouais Ruy Blas aussi, tu t’en souviens ?
MARGOT (ne lâchant rien) Il fallait bien que tu gagnes le soir, ce que tu perdais la journée…Mon chéri !
PIERRE (sur le même ton) Il me semble que tu n’as jamais manqué de quoique ce soit, Ma chérie !
MARGOT Toi, tu m’as manqué ! Tu n’étais jamais aussi absent que quand tu étais là…
PIERRE Mais c’est faux, voyons!
MARGOT Tu passais, voilà tout…
PIERRE Je t’aimais comme un fou, mais tu n’étais plus la même. Je n’étais plus le centre de ta vie, tout tournait autour de ton ventre…
MARGOT (sur l’humour) Et habituellement, c’est autour du tien que ça se passe.
PIERRE (petit garçon) Oui !
MARGOT (maternelle) Et tu n’as pas l’habitude
PIERRE (très petit garçon) Non !
MARGOT (maternelle) Et tu n’aimes pas ça…
PIERRE (très petit garçon) Pas du tout, non !
MARGOT Antoine est un garçon doué, n’est-ce pas ?
PIERRE Evidemment, puisque c’est ton fils !
MARGOT Tu trouves que je suis trop mère juive ?
PIERRE (sur l’humour) Ma Chérie, toutes les juives ne sont peut-être pas mères, mais toutes les mères sont juives !
MARGOT (sans méchanceté) Venant d’un Italien, d’un bambino à sa Mama, je trouve la formule savoureuse.
PIERRE S’il te plaît Margot, laisse ma mère reposer en paix, tu veux ? Maman était une intellectuelle et une Sainte !
MARGOT Ta mère était surtout une intellectuelle !
PIERRE (tenant à préciser) De gauche ! Et qui m’a élevé seule !
MARGOT Elle n’a pas vraiment eu le choix ! Ton pauvre père est mort avant ta naissance, par conséquent…
PIERRE Maman aurait très bien pu se remarier.
MARGOT Si elle avait eu un caractère plus souple. (Un temps.) Certainement !
PIERRE Parce que ta mère est facile peut-être ?
MARGOT (sur son idée) La tienne me haïssait : j’étais la rivale, celle qui lui volait « son Piccolo» !
PIERRE (sur son idée) Et ta mère a tellement emmerdé ton père, qu’il est mort prématurément !
MARGOT A 82 ans, tout de même !
PIERRE Bon de toute façon, Freud a dit que l’on devient adulte, quand on pardonne à ses parents, le mal qu’ils vous ont fait.
MARGOT Freud a dit ça, vraiment ?
PIERRE A peu de choses près, oui !
MARGOT Et bien c’est que Freud ne connaissait pas ta mère, voilà tout !
PIERRE Ni la tienne ! Ma Beauté.
MARGOT Tu te souviens comme Antoine était fier, de s’installer dans son studio, avec l’argent de sa première traduction ?
PIERRE Tiens ! Voilà précisément, un exemple de ce qui est détestable !
MARGOT Qu’est-ce qui est détestable ?
PIERRE De me mettre à l’écart… De faire « vos coups en douce »…Dans mon dos !
MARGOT Antoine voulait te faire la surprise…
PIERRE Il a réussi ! Du jour au lendemain, j’ai dû me passer de lui, sans y être préparé…
MARGOT Mais enfin Pierre, tu as toujours dit que la vie d’un homme commence quand il quitte ses parents
PIERRE Je parlais des enfants des autres, Margot ! Pas de mon fils…
MARGOT Parce que tu t’ennuies avec moi ?
PIERRE Non ! Mais je m’ennuie sans lui…
NOIR/PIANO