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Désaccord parfait
Marc Fayet
Actes du théâtre n° 95.[ imprimer ]
Désaccord parfait - Comédie dramatique et musicale

Alexandre Malakovitch est un immense pianiste qui a une renommée internationale. Il revient à Paris dans la salle de concert qui l’a vu débuter il y a plus de 40 ans mais alors que la salle est pleine, il reste dans sa chambre d’hôtel décidé à ne pas aller jouer. Il n’a plus envie et puis au départ sa vocation c’était d’être cheminot... Personne ne parvient à lui faire entendre raison à moins que Sébastien, le groom de l’hôtel, ne trouve les bons arguments…

Pièce brillante et forte à la fois.
Le ton est juste dès les premières lignes. Le style est brillant, la pièce est parfaitement équilibrée et n’offre aucun temps mort. Il y a là plein de traits d’esprit et d’humour qui appartiennent aux personnages et ne sont à aucun moment un ressort d’écriture ou une nécessité de vouloir faire rire. Il y a dans ce texte un vrai talent et une vraie humilité au service d’une histoire parfaitement racontée. Ce fut un plaisir de la lire et je n’attends que de la voir mise en scène.
Comité de lecture Entr’Actes

Production en cours.

Personnages : 3 femme(s) - 4 homme(s) -

Lisa finit de jouer Colin Maillard de Robert Schumann.

LISA Il est rond.
ALEXANDRE Qui ça ?
LISA Le piano.
ALEXANDRE J’ai eu peur, je croyais que tu parlais de moi alors que c’est ma première mignonette.
LISA Que tu es bête ! Il est rond, il sonne bien ce piano.
ALEXANDRE Oui il sonne bien. Mais toi tu ne mets pas assez de cœur, ça doit être plus joyeux, plus éclatant.
LISA Oui je sais.
ALEXANDRE On dirait que tu te retiens et puis elle est trop raide ta main gauche. C’est pas un battoir.
LISA Je sais Papa. Tu vas jouer quoi ce soir ? Je n’ai même pas regardé le programme ?
ALEXANDRE Tu la connais la blague de Staline ?
LISA Je ne vois pas le rapport papa.
ALEXANDRE Tu vas voir. Un jour lors d’une fête du parti à Moscou, il y avait des artistes qui animaient la soirée. Ça joue de la musique en veux-tu en voilà et à un moment donné les dignitaires demandent à un pianiste « Dis-donc Camarade Trumachinovsky… joue nous la sonate numéro 6 de Prokofiev » Alors le pianiste hoche un peu la tête pas emballé du tout et tout à coup Staline prend la parole et s’adresse aux dignitaires en disant «Camarades ! Cessez de le harceler ! L’artiste doit toujours jouer ce dont il a envie. On ne doit jamais lui imposer un programme…. Mais moi Staline je pense que maintenant le camarade Trucmachinovsky a envie de jouer la sonate numéro 6 de Prokofiev ». (Il rit.)
LISA Elle est horrible ta blague.
ALEXANDRE Donc pour répondre à ta question, ce soir au programme on m’a gentiment demandé d’avoir envie de jouer du Mozart du Schumann, du Liszt, du Prokofiev, un petit Fauré de derrière les fagots et si j’ai envie je ferai un Chopin en rappel.
LISA Ils ne t’ont pas forcé quand même ?
ALEXANDRE Non, mais c’est cette conne de Marianne Lavalette qui m’a forcé à leur donner mon programme un an et demie avant. En 16 mois on a vite fait de changer d’humeur, ce qui fait qu’aujourd’hui je n’ai pas envie, mais pas envie du tout de jouer ni du Mozart ni du Schumann ni même du Chopin c’est pour te dire.
LISA Ce n’est quand même pas une torture.
ALEXANDRE Il y a des jours quand tu rentres chez toi et que tu n’as pas envie de manger des endives, tu ne te fais pas des endives ?
LISA Berk, des endives !
ALEXANDRE La musique c’est pareil. Ce soir je n’ai pas du tout envie de cette endive musicale de Schumann.
LISA Schumann ? Une endive ? N’importe quoi ! J’ai des amies qui ont leurs places depuis 2 mois. Elles ont fait la queue à partir de 3heures du matin pour les avoir. Elles sont comme des folles.
ALEXANDRE A propos de folle, ça va ta mère ?
LISA Papa !
ALEXANDRE Ça m’a échappé, pardon. Ça va ?
LISA Ça va. Mais elle ne viendra pas.
ALEXANDRE C’est mon retour à Paris quand même, ma consécration française !
LISA C’est vrai mais elle n’a pas voulu. Il y aura Sybille et Joan aussi.
ALEXANDRE Elles sont venues de Londres et de Berlin exprès ?
LISA Yes. Just for you.
ALEXANDRE Elles n’auraient pas dû.
LISA Mais si et puis c’est normal papa, c’est Paris, le théâtre des Champs-Elysées ! Ce sera la première fois qu’on va se réunir depuis des années. Grâce à toi.
ALEXANDRE Elles viennent sans leurs mères j’imagine ?
LISA Evidemment papa. Avoue que ce serait un peu compliqué de te retrouver dans la loge avec nos trois mères. Je ne suis pas certaine que tu saurais parfaitement gérer la situation.
ALEXANDRE De toute manière la question ne se pose même pas. Donc pas les mères ?
LISA Tu n’auras que les filles. C’est pas mal quand même, non ?
ALEXANDRE Je me demande si je n’aurais pas préféré le contraire. Avoir vos mères dans la salle et que vous les filles, vous alliez au cinéma bras- dessus, bras-dessous.
LISA Au cinéma ? Non mais qu’est-ce que tu racontes Papa ?
On frappe à la porte.
ALEXANDRE Ah ! Encore une surprise.
Lisa ouvre. C’est Marianne Lavalette, très tendue.
MARIANNE Bonjour chérie.
LISA Bonjour Marianne.
Elles se font la bise.
ALEXANDRE Oh non pas elle ! Au secours !
MARIANNE Qu’est-ce que c’est que cette histoire de piano Alexandre ?
ALEXANDRE Hein ? Quoi ? Quel piano ?
MARIANNE Ne fais pas l’imbécile s’il te plaît. Je viens d’apprendre que tu n’en voulais pas ?
ALEXANDRE Ah oui ! Je l’ai essayé tout à l’heure, Il ne sonne pas. On dirait un bastringue de bordel. Je ne peux pas le jouer.
MARIANNE Pas le jouer ? Un Steinway de concert ? Mais c’est quoi cette lubie ? C’est exactement le même modèle que celui sur lequel tu as joué le mois dernier à Berlin.
ALEXANDRE Eh bien je ne sais pas ce qu’ils lui ont fait ici mais c’est une casserole.
MARIANNE Une casserole ? Un D274 sur lequel Martha Argerich jouait encore la semaine dernière ?
ALEXANDRE En tous les cas il ne me va pas à moi.