la moisson des auteurs

 
     
 
Orgueil, poursuite et décapitation
Marion Aubert
 
Actes du théâtre n° 35.

M. Auberte la folle, hétéronyme parmi d’autres de l’Auteure, évoque dans un tourbillon de scènes déjantées tout un petit monde familial et professionnel haut en couleurs. En dix chapitres morcelés, cette comédie féroce convoque une trentaine de personnages, qui, au fil des scènes, nous présentent un tableau sans pitié des rapports de pouvoir. On verra ainsi des scènes de la vie quotidienne, enfantine, conjugale, familiale, professionnelle, nationale, quelques rituels, les péchés capitaux, bref, la folie ordinaire de notre monde.

« Toujours par le biais d'un humour grinçant et explosif, Marion Aubert met à nu notre petite société humaine. (…) Plus que jamais, Marion s'acharne à fouiller à pleines mains, des recoins où l'on n'oserait pas mettre un doigt. A étaler, ce qu'on n'oserait dire qu'en privé à demi-mots.
Et si je connais bien l'écriture de Marion, je suis toujours, encore et toujours, surprise par la liberté incroyable de son discours. De son ton. (…) C'est vivifiant et inquiétant à la fois (…) je voudrais que ce spectacle soit jubilatoire, haut en couleurs, déjanté et effrayant. Comme l'est le texte.
Marion Guerrero, metteuse en scène

Création au théâtre des Treize-Vents, CDN de Montpellier du 9 au 12 février 2010. Le Préau CDR de Vire, 9 mars ; Théâtre Molière-Scène nationale de Sète, 4-5 mai ; Le Carreau-Scène nationale de Forbach, 11 mai ; La Comédie-CDN de Valence, 26-27 mai ; L’Onyx-Scène nationale de Saint-Herblain, 4 novembre 2010.

Mise en scène : Marion Guerrero. Assistante à la mise en scène : Virginie Barreteau. Scénographie : Nicolas Hénault. Costumes : Marie-Frédérique Fillion. Création lumières : Olivier Modol. Création son : Antonin Clair. Chargée de production : Sylvine Dupré. Stagiaire INSAS-Bruxelles : Marion N’Guyen The. Avec : Marion Aubert, Thomas Blanchard, Adama Diop, Capucine Ducastelle, Elisabeth Mazev, Olivier Martin-Salvan, Sabine Moindrot, Dominique Parent.

Personnages : 15 femme(s) - 15 homme(s) -
Actes Sud-Papiers - www.actes-sud.fr

Voilà l'affaire. Je me suis réveillée au milieu d'un banquet. Il y avait partout des chapelets de saucisses. Je le répète. Je n'aime pas sombrer dans les excès de boisson. Je déteste les graisses. J'enlève le gras du saucisson. La viande de mouton me donne des haut-le-cœur. Je n'ai pas le sens de la fête. Je jalouse parfois les gais lurons. Ceux-là ont l'air de s'amuser. Ils fanfaronnent. J'aimerais parfois participer. Crier comme une soûlarde. Gémir en pleine nuit sur un banc public. Mais j'ai trop d'éducation. Et pourtant, ce matin, lorsque je me suis réveillée, j'ai été prise d'un féroce appétit de manger et boire la vie. J'ai appelé des amies fêtardes. J'ai commandé trois jambonneaux. Des fruits. J'ai appelé une petite fille grasse de ma connaissance, et je l'ai mangée. J'ai tout mangé, mangé, mangé. J'ai appelé mon correspondant allemand. Et puis, je l'ai mangé. Je lui ai sucé les yeux délicatement. J'ai tout mangé. Après, rien ne m'a plus fait peur. Et forte des encouragements de mes amies, j'ai mangé le Président. Je l'ai mangé tout cru, avec sa grande femme. Après, j'ai fait un peu de sport pour éliminer tout ça. Après, je suis allée à la piscine pour me maintenir en forme. J'ai fait du vélo jusqu'à la piscine. La piscine est loin. J'ai pédalé, pédalé. J'ai fondu. J'ai perdu toute ma graisse. Et toute ma graisse fondue m'a fait envie. J'ai fait une grosse tartine, avec toute ma graisse, et puis, je me suis auto-mangée. Après, j'ai voulu danser avec toi, mais tu n'as pas voulu. Tu en as regardé une autre. Et puis, je suis rentrée chez moi dans ma petite ville avec mon petit garçon, mes petits amis, mes petites habitudes. Par la fenêtre, je vois le vaste monde parfois. Mon mari est revenu. Il sent la trahison, sur le rebord de la fenêtre. Il sourit à travers la fumée. Je voudrais que mon mari prenne un temps infini pour me caresser, mais il fait tout ça rapidement. Nous dormons dans le lit l'un à l'autre parallèles. Voilà. Je pense ça, moi. Je pense ça, et je suis bien triste. J'ai envie de paresser avec un roman facile. Chez Mounir, l'enseigne est toujours allumée. Les poulets tournent toujours sur la broche. Tous ces poulets. C'est un peu l'enfer pour les poulets, chez Mounir.