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Paroles d'auteur

 
Lancelot Hamelin
© DR
Une faille | Mathieu Bauer | Entretien par Sabine Bossan

www.nouveau-theatre-montreuil.com/

Sabine Bossan Comment est venue cette idée de feuilleton théâtral ?

Mathieu Bauer J'ai envie de dire qu'il y a beaucoup de raisons qui m'ont poussé à un moment donné à imaginer un tel objet. Une des premières raisons c'est mon amour pour les séries qui me semblent être un des objets les plus intéressants qui a été fabriqué ces dix – quinze dernières années dans le spectre de l'art. J'ai d'abord renoué avec la série très populaire Urgences. J'avais un peu peur de l'avouer car c'était le dimanche soir sur TF1 et regarder TF1 le dimanche soir ce n'était pas très artistique. Au fur et à mesure, il y a eu ce plaisir de retrouver des personnages, de voir comment ils évoluaient, savoir à quelle sauce ils allaient être mangés. Et puis sont arrivées des séries d'une qualité absolument incroyable, et qui remettaient en jeu ce qu'on avait un peu perdu dans le théâtre : notre époque, notre temps, nos contemporains. Elles le faisaient de façon très politique pour certaines en osant aborder des préoccupations, des sujets qui me semblaient un peu éloignés de ceux du théâtre si je prends le spectre de l'écriture. Il y a eu une série qui a été déclencheur, The Wire (Sur le fil), un grand choc esthétique, un révélateur, qui était jubilatoire parce qu'on ne sait plus très bien si c'est de la sociologie, de la fiction, on ne sait pas très bien où l'on est. C'est déstabilisant, dans le meilleur sens du terme, et c'est ce qu'on demande à une œuvre quelle qu'elle soit. C'est nous secouer un petit peu en s'emparant de thèmes comme le politique, la désindustrialisation, l'éducation, les problèmes de hiérarchie, que ce soit de hiérarchie dans la police ou dans un gang de dealers, l'homosexualité, le rapport au journalisme. C'est un projet de lieu aussi, un projet de théâtre, pas seulement de metteur en scène ou d'écriture : comment un théâtre peut retrouver sa place, sa légitimité dans une ville en tant qu'institution qui dialogue dans un territoire qui l'accueille. A partir du moment où j'ai eu envie de diriger un lieu, qu'en tant qu'artiste je me suis posé la question de la relation que j'entretenais avec le public ce qui n'est pas toujours évident quand on a une compagnie, je me suis demandé quel objet pourrait fédérer tout ce qui doit constituer cette agora que peut être un théâtre en renouant avec ce plaisir qu'on peut avoir de venir à une représentation. Je me suis posé la question de savoir si une série était transposable sur un plateau, et comment. De là est née l'idée d'Une faille, une série qui appartiendrait aux spectateurs et au lieu. C'était aussi pour moi un très beau moyen de partager l'outil d'une autre façon. Pour l'instant j'ai mis en scène les trois premiers rendez-vous, mais l'année prochaine ce sera pris en charge par d'autres metteurs en scène. Dès le début ça a été pensé comme ça. Ca posait aussi la question du partage de l'outil par rapport à ces institutions. Et de sortir un peu du champ : partage de l'outil égale partage des moyens, même si ça reste le nerf de la guerre, et que ça reste une de mes missions principales de produire, d'accompagner d'autres artistes, d'autres équipes. Est-ce qu'un artiste peut arriver dans une maison, présenter son travail mais prendre aussi en charge une partie de l'histoire de cette maison ? Il me semblait que le feuilleton permettait ça. Qu'il permettait aussi de voir à quel point l'écriture scénique était importante et qu'on montait un texte, qu'on s'emparait d'une histoire, à partir du moment où on était metteur en scène et qu'on avait une écriture de plateau. L'écriture de plateau, on ne sait plus très bien ce que ça veut dire aujourd'hui. Je trouvais que cela avait le mérite de révéler ça. Si je fais une mise en scène à partir d'un sujet bien donné, il se passe quelque chose qui est de l'ordre de mes préoccupations. J'imagine que l'année prochaine Bruno Gélin qui sera le premier metteur en scène à prendre en charge la suite, puis Pauline Bureau, le plateau ne sera pas du tout investi de la même façon et mettra donc aussi en lumière ce qu'est l'écriture de plateau.


SB Il y aura aussi un changement d'auteur ?

MB On conçoit cet objet à plusieurs mais l'écriture est vraiment dévolue à Sophie Maurer, c'est elle qui écrit le texte. En termes de synopsis, en terme de séquencier, en terme d'inspiration, en terme de possibilités, là tout le monde est associé. Nous avons été très vigilants à ce que Bruno et Pauline rentrent dans la danse bien avant qu'on ait établi l'entièreté de la saison prochaine afin qu'ils soient investis dès le début et qu'ils puissent intervenir, injecter ce qui les préoccupe, dire la façon dont ils peuvent voir les personnages évoluer, proposer des choses. Pour l'instant, on est dans un brainstorming autour d'une table et on balance des idées. Moi, j'ai envie de rester garant de la narration, que ça continue à évoluer pour tel ou tel personnage qu'on va retrouver la saison prochaine, que ça continue à s'inscrire dans la ville de Montreuil, qu'on ait des éléments qui fassent clin d'œil ou directement référence à Montreuil. Ensuite, c'est vraiment une proposition de laisser la place aux imaginaires des uns et des autres, pouvoir se déployer entièrement dans le feuilleton et avoir paradoxalement le moins de contraintes possible.
Ce que ne supporte pas le théâtre mais que supporte la série, c'est la répétition, la façon dont on convoque le spectateur. J'ai fait quatre premiers épisodes très intenses, on a fait un deuxième rendez-vous en décembre, qu'on appelle des épisodes de transition mais le théâtre ne permet pas les épisodes de transition. Il y avait moins d'enjeu. Malheureusement - ou heureusement, c'est ce qui fait la force du théâtre - une représentation se doit d'être exceptionnelle. On ne peut pas avoir au théâtre deux épisodes de transition, alors qu'on les accepterait un soir chez soi sachant que ça va rebondir le lendemain ou le surlendemain. Donc ça a été un peu plus dur. On savait que ces deux épisodes seraient un peu charnières, donc on a mis plus d'enjeu, on a réinjecté plus de tension. C'est peut-être pour ça que l'année prochaine il n'y aura que deux rendez-vous. Trois rendez-vous sur une même année c'est un peu compliqué. Surtout que ces deuxièmes rendez-vous se faisaient en trois semaines. C'était assez intense, il s'est établi une relation de travail très agréable entre tous ceux qui font la richesse, le spectacle, des comédiens à l'équipe technique. On a apprivoisé le feuilleton. Les derniers opus sont les plus justes. Il a fallu aussi un an pour voir ce qui était de l'ordre du théâtre, de la poétique, de l'onirisme et ce qui est de l'ordre du feuilleton, du code. J'avais envie de respecter au début les codes du feuilleton et puis je me suis un peu éloigné vers la fin d'une forme assez restrictive sous certains aspects et qui ne fonctionnait pas exactement avec le théâtre.


SB Une collaboration s'opère-t-elle avec les associations, l'équipe municipale, les différents acteurs de la cité ?

MB Sophie Maurer a un rôle essentiel. Elle est d'abord arrivée dans cette histoire comme sociologue et femme de terrain, j'avais besoin de quelqu'un qui aille avec moi sur le territoire de Montreuil, de quelqu'un qui sache interroger les bonnes personnes. On avait envie de travailler autour de la question de l'urbanisme, de l'architecture, comment on construit une ville, comment on habite une ville. Et puis j'avais lu son roman dont la langue m'avait impressionné, une langue très rythmique - ce qui compte beaucoup pour moi qui suis musicien. Il y avait aussi une scénariste, Sylvie Coquart, qui a été absolument prodigieuse, qui a mis de l'ordre dans la masse de documents que j'avais à disposition avec toutes les ramifications possibles : travailler avec d'autres, travailler sur la ville, sur le plateau, sur le sujet, sur les genres, avec les amateurs. Mais je me sentais un peu à l'étroit en tant que metteur en scène de théâtre dans ces arches narratives des codes de la série pour arriver à développer la poésie, le plateau, les silences, la musique, les lumières, l'atmosphère qu'il fallait trouver aussi par rapport à la série, qui est très particulière, ça ne passe pas que par la langue surtout pour moi pour qui la musique est très importante. On a travaillé à trois sur la durée, et ça a été très riche aussi. Et puis Sophie a commencé à écrire et c'étaient les essais les plus probants en termes de langue, de préoccupation.


SB En termes de théâtre aussi ?

MB Pas tout de suite. Il fallait trouver la place de la série dans le théâtre et la place du théâtre dans la série. Je suis parti sur l'idée de chœur citoyen pour renouer avec la tradition théâtrale. C'était un projet très généreux, qui s'est inventé au fur et à mesure et puis on a affiné, on a transformé. La place du chœur dans les derniers épisodes est enfin trouvée. On sait pourquoi il est là. On était obnubilé par la question de l'écriture puisqu'il fallait la trouver, de ce que ça allait produire comme sens, par la question des personnages, du décor, et toute la mécanique. J'avais aussi envie d'images pour jouer avec un certain nombre de codes du cinéma : hors champ, hors cadre, gros plan, plan large, montage. Les premiers épisodes ont été très ambitieux, ils duraient deux heures et demi. C'a été très intense, très riche et très heureux. On a eu envie de continuer l'expérience. J'ai envie d'inscrire Sophie dans la durée. La plume de Sophie assure la continuité.


SB Comment est-ce que ça s'inscrit tentaculairement dans la ville ?

MB La présence des amateurs est énorme. Il y a un orchestre de spectacle, une classe qu'on avait formée en partenariat avec le conservatoire de Montreuil, avec une fanfare qui accompagne tous les événements du CDN, un travail génial de Sylvain Cartigny, compositeur et collaborateur historique de la compagnie. Cet orchestre-là va continuer. En ce qui concerne le chœur et la présence des amateurs sur le plateau, la législation est assez contraignante et pèse lourd dans le budget. Ce qui est sûr en revanche c'est qu'on va continuer à aller à la rencontre des associations et de tous les acteurs de la ville de Montreuil sur un autre thème : la justice.
On a essayé de repérer dans la ville de Montreuil toutes les institutions qui travaillaient de près ou de loin avec les questions de justice, de façon très pragmatique. La demande du droit d'asile qui est basée à Montreuil, le grand banditisme qui est lié à Montreuil, etc. Ce sont tous les fils qu'on va tirer. Sophie et les metteurs en scène vont aller les rencontrer.
Pour moi la réussite du projet vient des retours des collégiens, des spectateurs lambda, c'est un peu leur feuilleton. C'est un geste plutôt politique qu'artistique. Et c'est au bon endroit aujourd'hui. Les élèves ont envie de revenir sans leur classe, et cela veut dire que le pari est réussi. Pirandello disait : « Pour parler d'aujourd'hui, il faut des personnages d'aujourd'hui. » Parler du monde dans toute sa diversité, je pense que les séries savent le faire.


SB Cette série théâtrale est-elle devenue une composante de l'identité de la ville ?

MB On parle beaucoup de la série parce que ça fait un peu phénomène, mais il y a toute une programmation derrière. Il y a un éclatement des genres que j'ai voulu en arrivant à Montreuil. Ma directrice adjointe Fériel Bakouri et moi-même, avons imaginé un projet artistique pour le théâtre qui a rencontré le public, il ne s'agit pas seulement du feuilleton. Il y a eu une volonté et un projet artistiques d'ouvrir à d'autres formes. C'est un ensemble de choses. Je souhaite faire de ce théâtre un intime de la ville, un endroit dont on puisse pousser la porte très facilement. Ce n'est pas uniquement le feuilleton, c'est une préoccupation présente à tous les points de la programmation.


SB La ville de Montreuil est au cœur même de ce feuilleton théâtral. Arrivez-vous toutefois à toucher un public périphérique ou à organiser des tournées ?

MB L'accueil est bon. Une de nos préoccupations était qu'on ne voulait pas tomber dans Plus belle la vie. Qu'est-ce que c'est que construire aujourd'hui, la problématique de l'architecture, la question de la mixité ? Toutes ces questions on peut les faire voyager. Après il y a des personnages, des rebondissements. Il y a aussi tout ce qui fait le plaisir du feuilleton romanesque. Il y a finalement assez peu de choses référencées à Montreuil. La meilleure preuve, c'est que la saison prochaine on part en tournée avec l'intégrale à Lyon, Reims, Strasbourg, Caen. On leur a demandé s'il voulait une réadaptation, Lyon ne le souhaitait pas. Strasbourg a été très demandeur d'une réadaptation qui fasse écho à la ville de Strasbourg. Les deux sont possibles, le projet avait été pensé comme ça. Mais je veux réduire l'ensemble à 4 heures au lieu de 6 heures.


SB Qu'est-ce que cela vous a appris par rapport au théâtre ?

MB D'une part j'ai rarement monté des dialogues, cela a toujours été du montage avec très peu de dialogues et très peu de théâtre. Je salue d'ailleurs Lancelot Hamelin qui a vraiment accompagné cette aventure, qui a travaillé sur la construction du feuilleton au début. D'un point de vue tout à fait personnel, ça m'a appris à travailler avec des personnages avec un peu de psychologie ce qui m'est assez étranger. J'ai appris à le faire avec les comédiens. J'ai beaucoup aimé travailler de façon intensive, de monter des choses assez vite.


SB Comme à la télé ?

MB Oui. Il faut arrêter de se la raconter. Faire du théâtre, faire du cinéma, c’est aussi de la technique. Quand on est metteur en scène on a très peu accès au plateau pour faire nos gammes, alors que c’est notre outil. Il y avait ce plaisir-là. C’est du boulot, ce n’est pas que le côté artiste. Il y a un métier. Ca c’est le grand plaisir de la série et j’ai développé une technique de metteur en scène, en sachant traiter les enjeux d’une scène, en mettant les comédiens dans les meilleures dispositions possibles, en sachant l’éclairer, en sachant trouver les retournements, en trouvant pourquoi à tel moment il y avait du décalage, de l’intérêt, de la tension. Le luxe finalement d’être directeur d’un CDN c’est d’avoir accès à l’outil beaucoup plus souvent, d’être dans une pratique beaucoup plus quotidienne.

Mathieu Bauer
10 juin 2013
 
 


 
Lancelot Hamelin
© Éric Morency
Une faille | Sophie Maurer | Entretien par Sabine Bossan

www.nouveau-theatre-montreuil.com/

Sabine Bossan Quel a été le processus d'écriture d'Une faille ?

Sophie Maurer La particularité de l'écriture c'est qu'à chaque fois il y a eu la collaboration entre une scénariste, Mathieu Bauer et moi. Il y avait une première phase de construction de l'histoire, où le travail de la scénariste était évidemment essentiel. Il y a eu deux scénaristes différentes : Sylvie Coquart-Morel sur les six premiers épisodes, puis Cécile Vargaftig sur les deux derniers. C'était intéressant parce que c'était deux univers complètement différents, Sylvie venant de la série télévisée, Cécile plutôt du cinéma indépendant. C'était des modes de construction narrative très distincts.


SB Pourquoi était-ce important que ce soient des scénaristes ?

SM Parce que Mathieu Bauer savait, se connaissant et connaissant son propre théâtre, qu'il avait besoin de quelqu'un pour l'aider à faire que ce feuilleton soit vraiment un feuilleton. Quelqu'un qui connaisse les modes narratifs de la série, comment on termine un épisode pour faire en sorte qu'on ait envie de voir le suivant, pour trouver des rebondissements, comment faire évaluer un personnage sur une histoire qui se déroule sur toute une saison, donc sur un temps assez long. Et à chaque fois le travail de la scénariste était important sur ce plan-là. Ensuite, j'ai travaillé seule sur les dialogues eux-mêmes. Une fois le texte livré, il y a eu des aménagements, des scènes qui bougent, qui sautent. Mais finalement cela s'est produit de manière relativement marginale.


SB Au niveau du temps d'écriture, le travail de la scénariste et le vôtre, était-il équivalent ?

SM C'est très différent. Le travail avec la scénariste et avec Mathieu c'était des réunions itératives, étalées sur des semaines où on se voyait de temps en temps et puis entre temps on essayait de construire avec la scénariste un synopsis puis un séquencier. On revoyait Mathieu, on changeait en fonction de ce qu'il nous disait. C'a été un travail très étalé. Alors que j'ai concentré l'écriture dans le temps. Ca ne s'est pas fait du tout sur le même mode. Et puis c'est un travail solitaire donc c'est plus simple à organiser. Puis je livrais le texte et après j'assistais aux premières lectures autour de la table où il y avait des petits ajustements qui se faisaient pratiquement instantanément. Au plateau, je laissais Mathieu avec ses comédiens et s'il y avait des changements conséquents, Mathieu m'appelait pour en discuter. Mais je ne me mêlais pas de la décision à ce stade.


SB Une fois que la scénariste était intervenue, elle ne revenait plus sur le terrain ?

SM Non. Mais comme ces collaborations ont été très sympas, je donnais évidemment le texte à la scénariste pour être sûre qu'il n'y avait pas de malentendu sur le passage du scénario au texte.


SB Venez-vous du théâtre ?

SM Pas du tout. Je viens du roman. C'était ma première expérience de théâtre. Je suis par ailleurs enseignante en science politique et en sociologie. C'est à ce titre-là que je suis venue sur le feuilleton pour faire un travail de documentation et d'enquête sur la ville. Un collègue, Damien de Blic, a parlé de moi à Mathieu Bauer et il m'a fait venir sur ce projet à cause de ma double casquette. Effectivement nous avons mené ensemble des entretiens dans la ville. Assez vite, j'ai eu envie de me mêler de la construction de l'histoire. Sylvie et Mathieu m'ont accueillie, et s'est posée la question de qui allait écrire le texte. J'ai proposé à Mathieu d'écrire quelques scènes pour qu'il voie. Il a bien aimé ce que je lui ai proposé et il a dit on y va. Il a pris un risque fou parce que je n'avais jamais écrit une ligne de théâtre. J'ai appris sur le tas au fil de la saison ce que ça pouvait vouloir dire d'écrire du théâtre. Et c'est très différent. C'est surtout la relation aux dialogues qui est un peu étrange pour moi, parce que j'ai écrit deux romans où il n'y a pas un seul dialogue. Là d'un seul coup, je n'avais plus le choix.


SB Comment fait-on pour transposer au théâtre la forme d'une série télévisée ?

SM Mathieu était assez clair sur le fait que sur le plan formel il y aurait des clins d'œil, comme c'est le cas du générique. Le fait de savoir séquencer les épisodes, de savoir faire des fins, c'était vraiment le travail de la scénariste. Sylvie, qui a été là dès le début du projet, a donné les codes de la série, c'est un langage qui lui est très familier. Même si après, Mathieu a eu tendance à s'en détacher de plus en plus au fur et à mesure de la saison parce qu'on s'est rendu compte qu'on n'allait pas au théâtre comme on regardait la télévision. Là où à la télé s'il y a un épisode moins bien, on se dit que le suivant sera mieux, au théâtre, si ce n'est pas bien on ne revient pas. Il y a maintenant une deuxième saison, avec deux nouveaux metteurs en scène, et on va avoir des personnages de la première saison qui vont rester et qui vont devoir résister à un changement d'esthétique et d'univers. On va voir si le concept résiste. Et on va voir ce qu'il advient d'eux dans ces circonstances.
Transposer au théâtre la forme d'une série télévisée, c'est essayer de créer une forme d'envie de la suite. C'est essentiellement ça l'objectif. Sur le plan formel, je ne sais pas quoi dire parce qu'on a travaillé avec deux scénaristes qui avaient des opinions totalement différentes sur ce qu'était un personnage de série. Sylvie disait que c'était important que le personnage évolue du début à la fin, Cécile disait qu'un personnage de série peut tout à fait être le même du début à la fin et ça peut même être ça la série. Après il y a des divergences internes sur ce qu'est une série. Les premiers épisodes étaient plus conformes à cette construction-là, les derniers étaient plus oniriques.


SB Comment s'est passé l'écriture ?

SM Une fois qu'on avait posé le séquencier, je savais ce qui devait se passer dans chaque scène. Moi le travail qui m'intéresse, c'est le travail sur la langue. Ca m'a pris le temps que ça prend d'écrire des dialogues, mais je savais ce qui se passait. C'était une partie du travail qui était déjà faite. Au début j'écrivais des dialogues où les gens s'écoutaient et se répondaient constamment. J'ai assez vite compris qu'on n'était pas obligé de répondre à ce qui venait d'être dit. C'était très troublant, même sur le fond de ce qu'est le théâtre. J'ai appris à tailler.


SB Qu'apporte le théâtre au genre feuilleton ? Etes-vous aussi fan que Mathieu des séries télévisées ?

SM Absolument ! De toutes les séries américaines, les bonnes et les mauvaises. Je suis très fan du feuilleton. Le théâtre apporte des possibilités d'échappée qu'il n'y a pas toujours dans les séries. Il y a des possibilités oniriques qui sont celles du théâtre. C'est assez sympathique le rapport que cela a créé avec certaines parties du public, notamment avec les jeunes. Ils avaient un rapport avec Joris Avodo, le comédien qui jouait Nabil, qui était assez proche de celui qu'ils peuvent entretenir avec des personnages de séries télé. C'est sympa de les faire venir au théâtre sur un mode qui est le leur, respectueux de ce qu'est leur culture.


SB Quel travail préparatoire a demandé cette écriture de feuilleton ?

SM Beaucoup de lectures. C'est bien, parce que Montreuil est une ville très étudiée, très documentée, il y a tout un tas de choses à dire. Des visites avec des gens qui connaissent bien la ville, qui étaient capables de m'emmener dans des endroits un peu moins connus, et puis des entretiens avec des Montreuillois. Sachant qu'on avait une thématique qui était le logement. J'ai essayé de rencontrer des gens qui vivaient des expériences un peu diversifiées de ce point de vue. On est aussi allé voir des élus, mais surtout des habitants. Les étudiants que j'avais l'année dernière en enquête sociologique ont accepté de participer aussi et ils sont allés un peu partout dans Montreuil faire des entretiens. Ils étaient très contents, ils voyaient à quoi aboutissait leur travail. Nous les interrogions sur leur rapport à la ville, à son histoire, à son évolution, à l'habitat, à la mixité qui est souvent mise en avant quand on parle de Montreuil.


SB Vous vous en êtes beaucoup servi ?

SM On ne les a pas repris tels quels mais on s'en est beaucoup servi. Toutes les informations relatives aux aspects un peu techniques de la construction d'un immeuble, des enjeux financiers qu'il y a derrière, de comment ça fonctionne, sont liées à un entretien que nous avons fait avec un agent immobilier iconoclaste qui avait pris trois heures de son temps pour nous expliquer tout ça. Sur l'habitat autogéré, il y a un petit laïus sur le mode de la caricature dans un des épisodes, mais qui est aussi inspiré d'un entretien avec une personne qui vivait en copropriété autogérée, ce qui est aussi une spécificité de Montreuil.


SB Les tout premiers épisodes c'était uniquement sur le logement ?

SM C'était la thématique d'ensemble de la saison. Un des modèles que Mathieu avait à l'esprit en arrière-plan c'était The Wire où effectivement de saison en saison on change de thématique : une fois c'est l'éducation, une fois c'est le journalisme. Là le thème était le logement. Il y a des épisodes où c'est très présent et d'autres moins. Mais ça donne quand même une tonalité d'ensemble. Sur le logement c'était très facile de relier à Montreuil parce que c'est une question très centrale dans cette ville où il y a une grande diversité de types d'habitat. Elle est connue pour ça. L'année prochaine ce sera sur la justice. On va devoir trouver comment ça s'incarne sur ce territoire. Pour l'instant on travaille avec les deux metteurs en scène et Mathieu. On essaye qu'il y ait une cohérence dans la saison. Et puis on travaillera avec chacun sur le séquencier.


SB Vous avez l'impression que votre style va changer ?

SM Le style d'écriture je n'en ai qu'un, le style de narration c'est sûr que ce ne sera pas le même. Je vais aussi m'adapter à ce que le metteur en scène a envie de montrer. Il y a des metteurs en scène qui aiment les choses plus ou moins fragmentées, plus ou moins didactiques. Et je vais devoir m'adapter. A la télévision, c'est rarement le même réalisateur d'un épisode à l'autre. C'était la même idée mais avec les metteurs en scène.


SB C'est un peu comme si le rapport auteur-metteur en scène s'inversait. Là il y a un metteur en scène et vous qui écrivez, vous suivez le metteur en scène et vous vous glissez dans le spectacle. En fait vous êtes une écrivaine en scène.

SM En fait oui. Quand je suis arrivée sur le projet il y avait déjà une situation donnée, on m'a dit : il y a un immeuble qui s'effondre et cinq personnages qui sont coincés. Les personnages n'étaient pas encore définis, mais la situation était déjà donnée. Là on ne repart pas tout à fait de zéro, on a des personnages qui sont donnés, on a le thème de la justice, mais pour l'instant on ne sait pas du tout quelle va être l'histoire qu'on va raconter. C'est l'objet de nos réunions en ce moment.


SB Cette expérience vous a-t-elle donné envie de poursuivre dans le théâtre ?

SM Cela m'a donné envie d'écrire du théâtre spontanément, dans un cadre différent du travail de commande. Globalement je trouve qu'il n'y a pas assez de personnages politiques, hormis les dirigeants, dans les fictions quelles qu'elles soient. J'ai envie d'écrire du théâtre qui donne à voir ce qu'est l'activité politique.

Sophie Maurer
06 novembre 2013
 
 
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