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Paroles d'auteur

 
Denise Chalem
© DR
Paroles croisées | Un entretien avec Denise Chalem, par Sabine Bossan


 

Sabine Bossan Quand ce goût de l'écriture t'est-il venu ?

Denise Chalem J'ai toujours écrit. Petite je tenais un journal. Ensuite, j'ai écrit des poèmes. Et puis le théâtre a fait irruption dans ma vie. Au Conservatoire, Antoine Vitez nous a obligés à plonger dans des formes d'écritures très différentes : journaux, poèmes, romans et bien sûr textes classiques. C'est tout naturellement que j'ai écrit ma première pièce, A cinquante ans elle découvrait la mer, à la sortie du Conservatoire. Je me suis aperçu combien ma formation de comédienne était précieuse pour les dialogues et pour inventer une histoire dans un cadre ramassé. Le théâtre a ses contraintes. On dit toujours que c'est un genre littéraire mineur, je trouve cela injuste, c'est un genre très difficile.


SB Dans tes pièces, tu écris aussi la mise en scène, la direction d'acteurs, le décor, le son, tout en somme. Que vois-tu d'abord lorsque tu te mets à l'écriture ?

DC Très vite une vision globale s'impose à moi. Un squelette. Pour le nourrir, lui donner de la chair, j'ai besoin d'images, de sons, de lumière et pas seulement de dialogues.


SB Toutes tes pièces ont un thème fort, qui nous touche personnellement, parce que tu traites très finement la psychologie de tes personnages. Pour Aller chercher demain, les soins palliatifs, la fin de vie en général, la solitude et dans Dis à ma fille, la prison. Comment décides-tu de tes sujets d'écriture, de tes personnages, de tes thématiques ?

DC Pour les prisons, c'est quelque chose qui m'est arrivé dans la vie. J'ai eu un ami qui s'est retrouvé à la mauvaise place au mauvais moment et qui a été accusé de complicité de crime. Il m'a envoyé beaucoup de lettres des Baumettes et il m'a demandé d'écrire un scénario là-dessus. Ca m'a taraudé et puis je me suis dit que si je devais témoigner, ce serait à travers une prison de femmes. On parle beaucoup de l'enfermement mais très peu au féminin. Pour Dis à ma fille que je pars en voyage, je me suis beaucoup documentée avant de m'autoriser la fiction. Avec Aller chercher demain qui traite aussi d'un problème social majeur – la fin de vie – le sujet ne s'est imposé à moi qu'après une deuxième étape d'écriture. D'abord, je voulais écrire pour Michel Aumont que j'avais fait tourner dans mon film Nés de la mère du monde. Je suis restée sur un goût de trop peu. J'aime passionnément cet acteur. Je voulais lui écrire un rôle qui ait mille palettes : drôle, enfantin, généreux, naïf, égoïste, touchant, poétique. Alors je me suis d'abord attachée aux rapports père-fille, le thème s'est imposé ensuite avec le métier qu'exerce la fille : infirmière de nuit en soins palliatifs.


SB Tu es une excellente dialoguiste, tu es aussi comédienne. Ecris-tu à voix haute ?

DC Oui. Arrivée à une certaine étape de travail, j'écris à voix haute, je me balade, je profère, je mâche le texte. Je peux passer des heures sur une expression, une interjection. Au final, je n'arrive à être à peu près satisfaite que lorsque j'ai envie de jouer tous les rôles, que ce soient les rôles d'hommes ou de femmes.


SB A quel rythme écris-tu ?

DC Je peux écrire à un rythme assez soutenu. J'essaye de ne pas me censurer même si j'ai conscience au moment où j'écris que je ne garderai que quelques répliques, qu'il me faudra « tailler dans la viande ».


SB Et la mise en scène ?

DC C'est complémentaire. Je n'ai pas l'impression que ce soit un autre métier. Cela s'inscrit dans une continuité. Il y a des metteurs en scène qui créent leurs lumières, d'autres leurs costumes, d'autres qui dessinent leurs décors. Nous vivons dans une époque où tout s'est spécialisé, mais écrire est un tout. C'est aussi construire une architecture. Lorsque j'écris, je construis. Je fais parfois huit ou neuf versions différentes de mes textes, j'en arrive à prendre des ciseaux et de la colle et à découper des répliques de fin de texte que je peux mettre au début. J'élabore alors une autre dynamique, un autre espace. On dit souvent qu'il vaut mieux ne pas mettre en scène son propre texte. Mais lorsqu'on a fini d'écrire, une page se tourne, ils s'agit alors de prendre son texte à bras le corps, et de le nettoyer parfois des indications d'auteur qui l'encombrent. Ceci dit je n'ai pas de religion, et je suis très heureuse de confier mon prochain texte à Didier Long qui va le mettre en scène.


SB Justement parlons de cette pièce Aller chercher demain à l'affiche en janvier 2011. A travers toutes tes pièces les femmes ont la part belle. Mais je trouve que Nicole, ton personnage, est cette fois-ci assez complexe. Pourquoi cherche-t-elle la solitude ? Pourquoi refuse-t-elle le bonheur que lui propose son compagnon ?

DC J'ai eu envie de dépeindre, dans la gaieté et avec humour, une femme qui ne s'en laisse pas compter. Elle est trop lucide pour croire qu'il suffit de se marier, d'avoir des enfants ou d'acheter une maison à la campagne pour être heureuse. Le fait de s'inscrire dans ce refus d'un bonheur « prêt à porter » gêne beaucoup son entourage qui ne la comprend pas et cela me permet de poser des questions qui ne sont pas anodines. Il faut dire aussi que tous les personnages sont drôles, elle y compris. Je n'ai pas écrit un drame. Elle est tout simplement dans un moment de sa vie, où, pleine d'énergie et de passion pour son travail, elle n'a pas envie de se laisser distraire. Sans compter qu'elle ne croit pas vraiment à la relation de couple puisqu'à la fin de la pièce, elle dit à son père : « Il n'y a pas de solution à la longévité dans un couple : c'est une maladie incurable. »


SB Ce n'est pourtant pas du tout une femme aigrie. Elle est très avenante, très généreuse.

DC Bien sûr, elle est très investie, très remplie par le quotidien des autres. Lorsqu'on interroge ou qu'on lit des témoignages sur des personnes qui ont travaillé dans l'humanitaire ou le social, on s'aperçoit que soit ils ont sacrifié leur propre vie de famille, soit ils n'en ont pas eue. De plus, Nicole travaille de nuit ce qui complique l'épanouissement d'une vie personnelle. Sans oublier qu'elle s'occupe de son père avec qui elle vit dans le même appartement. Je parle de gens simples, sans grands moyens financiers.


SB Mais qui sont héroïques.

DC C'est ma manière à moi de les magnifier, de leur rendre hommage. Il en faut du courage, dans certaines situations pour avoir la force de mettre un pied devant l'autre tous les matins, d'aller chercher demain.


SB On retrouve aussi dans cette pièce, cette obsession du temps qui passe, qui se déroule sous nos yeux. Cela donne parfois un côté cinématographique.

DC A travers les ellipses de temps, faciles au cinéma, compliquées au théâtre, j'arrive à faire mûrir et évoluer les personnages. Lorsqu'à la fin de la représentation le spectateur a l'impression que nous venons de passer six mois ensemble ; qu'il en sait plus sur mes personnages que moi-même ; j'en suis heureuse. De plus, je me suis fixée une règle qui est que mes dialogues ne soient jamais informatifs. Qu'ils expriment un état sans jamais glisser dans le « je me souviens de ». C'est pourquoi j'écris aussi avec des images, des solitudes sans dialogues où le corps se raconte, des sons extérieurs… J'accorde aussi une très grande importance à la lumière, qui est une alliée précieuse pour faire sentir le temps qui passe, le froid, la chaleur, les saisons. Alors oui par moments tout cela peut paraître assez cinématographique.


SB Tu as obtenu de nombreux prix et ta pièce Dis à ma fille que je pars en voyage a été récompensée par les Molière. Est-ce que cela t'a ouvert davantage de portes ?

DC Pas vraiment. Ce qui est très positif lorsqu'une pièce reçoit un Molière, c'est que tout le spectacle est récompensé. On voit alors venir au théâtre un public différent, qui ne serait peut-être pas venu sans le Molière. Et puis cela permet à la pièce de voyager plus facilement en province. Mais j'ai toujours autant de mal à monter mes pièces.


SB Peut-être parce qu'elles sont entre le théâtre public et le théâtre privé. Que penses-tu de ce clivage si particulier à la France ?

DC Qu'il est fatigant et injuste ! Et qu'il fait perdre beaucoup de temps et d'opportunités aux auteurs, mais aussi aux comédiens et aux metteurs en scène.


SB Peux-tu parler de ton expérience quant à tes pièces représentées à l'étranger ?

DC J'ai la chance d'être beaucoup jouée à l'étranger. Je suis très émue de penser que quelque part dans le monde, d'autres se penchent sur mes textes. J'ai un trac fou lorsque j'ai l'occasion d'aller sur place, et lorsque j'entends le public rire ou réagir aux mêmes passages qu'en France, je ressens vraiment une grande émotion. Et puis surtout les auteurs français sont reçus avec tellement de gentillesse et de spontanéité que cela fait du bien !


SB Paris 7ème mes plus belles vacances a été éditée chez Actes Sud-Papiers. Quels sont tes projets avec cette pièce ?

DC Cette pièce a obtenu le prix Durance-« Beaumarchais ». Elle a été donnée en lecture spectacle cet été au Festival de la Correspondance à Grignan avec Alain Fromager, Martine Vaudeville et moi-même. J'ai beaucoup travaillé cette lecture spectacle, en construisant également une bande sonore conséquente, car je voulais mettre mon texte à l'épreuve de la scène et du public. Pour l'instant, je cherche un théâtre, et je m'attends à ce que ce soit très compliqué puisque je parle d'une femme atteinte d'un cancer du sein. Un sujet qui va malheureusement devenir très banal et que j'ai souhaité traiter avec beaucoup d'humour. A Grignan, j'ai été très heureuse d'entendre les spectateurs rire dès les premières répliques.


SB Il faut dire que cette femme est extraordinaire, et drôle.

DC Merci !


SB Cette pièce aussi pourrait devenir un film.

DC J'ai souvent eu envie d'adapter mes pièces, d'en faire des scénarios à part entière, mais le cinéma est un milieu que je connais mal. Je ne sais pas bien comment m'y prendre. Dommage… Dans Paris 7ème le décor est un tout. Cette femme est en clinique, dehors il y a un jardin, une roseraie, ailleurs il y a un fils au Japon, dedans elle peint à même les murs de sa chambre. L'évocation de la peinture renvoie à d'autres images, à la maladie aussi. Bref, il pourrait y avoir un univers visuel assez fort. Mais encore une fois, je ne sais pas comment intéresser un producteur.


SB Est-ce que tu as d'autres projets d'écriture ? D'autres thématiques ?

DC Oui, mais il est encore un peu tôt pour en parler. Je dois d'abord m'occuper de Paris 7ème et du Temps arrêté une pièce sur Chanel, Morand et Misia Sert qui est un projet théâtral ambitieux et qui a du mal à voir le jour.


SB Est-ce que cela te plaît d'être comédienne dans une pièce dont tu n'es pas l'auteur ?

DC Bien sûr ! C'est mon métier et heureusement que je n'attends pas que mes pièces soient montées pour jouer ailleurs. Ceci dit, depuis que l'on parle davantage de l'auteur, les choses deviennent plus complexes pour la comédienne. Comme si le fait d'avoir plusieurs casquettes brouillait l'image. Pourtant les metteurs en scène devraient savoir qu'il n'y a pas plus docile qu'un comédien qui connaît la difficulté d'amener un projet à son terme.

 
  Entretien conduit par Sabine Bossan,
2010

 
 
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